L’action du chef-d’œuvre de Yasuzo Masumura, L’ange rouge, se situe en 1939 pendant la guerre sino-japonaise. Ce film nous décrit les horreurs de la guerre, non celle des combats mais celles des blessés de retour du front. Amputés le plus souvent, par peur de la gangrène qu’il n’est pas possible de soigner faute de médicaments, les mutilés sont cachés au reste de la nation japonaise pour ne pas la démoraliser. C’est dans ce cadre que nait un amour passionné entre Sakura Nishi (Ayako Wakao), une jeune infirmière, et Okabe le médecin-chef de l’hôpital militaire. Nous assistons donc à la rencontre d’Eros et de Thanatos au milieu du sang et des râles des mourants.

Masumura nous offre le tableau saisissant d’une boucherie où les corps sont amputés par centaines, le bruit des scies sur les os ne pouvant couvrir les cris de douleur de ceux qui sont opérés sans anesthésie. Loin de magnifier des soldats prêts à mourir pour la patrie, le réalisateur nous présente dans cet enfer des hommes mutilés, diminués, impuissants, qui ne demandent qu’une chose, que tout cela s’arrête. Soit par un retour dans leur foyer, ce qui s’avère le plus souvent impossible, ou plus radicalement par la mort à laquelle l’amputation d’un ou plusieurs membres n’a fait que surseoir. C’est dans cette atmosphère terrible que l’histoire d’amour entre Sakura Nishi et le docteur Okabe vient en contrepoint majorer l’horreur ambiante. C’est grâce à la volonté de Sakura que cet amour pourra éclore, l’infirmière soignant le médecin de son addiction à la morphine. Mais leur amour ne pourra qu’être éphémère comme le sont les fleurs du cerisier (traduction du mot japonais « sakura »). Ange dévoué envers ses patients, la jeune femme ne pourra malgré tous ses efforts soulager quiconque. Femme, ultime survivante, elle ne parviendra pas à sauver les hommes autour d‘elle. Dans l’ultime combat la mort est toujours gagnante.

Laurent Schérer