Au Sénégal, Joris Lachaise mène l’enquête sur la coexistence de différentes formes de traitement de la folie. Il pose d’abord sa caméra au centre hospitalier psychiatrique de Thiaroye, où les patients sont soignés avec des neuroleptiques et où ceux dont le comportement pose problème sont enfermés dans des cellules étroites censées « corriger » leurs conduites déviantes. La situation des malades n’y évolue pas beaucoup, à l’image de Khady Sylla, écrivaine et réalisatrice suivie depuis dix-huit ans par le docteur Sara. Elle reconnaît les mérites de l’empathie de ce médecin qui a su s’intéresser à ses écrits. Néanmoins, en prenant l’exemple de ses rêves prémonitoires, elle témoigne de toute la part d’irrationnel qui échappe complètement à la médecine occidentale et ses médicaments, qu’elle a avalés pendant des années sans qu’ils n’attaquent jamais la racine du mal. Pour pallier ces manques, les marabouts fleurissent en prétendant obtenir des résultats bien plus probants. Pour eux, les malades sont victimes d’attaques de djinns qu’il faut chasser à l’aide d’incantations dont ils ont le secret. Lors des cérémonies de purification, deux éléments viennent agir parfois plus efficacement que les psychotropes : le toucher et la parole. Une main sur le front, l’autre sur le cœur du possédé, les marabouts psalmodient des formules magiques avant d’intimer au malade de commander explicitement à ses démons de le quitter. Ces rituels cathartiques ont parfois un effet instantané. Même s’ils pensent que l’universalité des maladies psychiques justifie l’application des nosologies occidentales à leurs patients, les psychiatres de Thiaroye ne sont pas aveugles et sourds à ces pratiques mystiques. Fidèles à l’esprit d’Henri Collomb, fondateur de leur hôpital, et des autres psychiatres de l’école de Dakar, pionniers de l’ethnopsychiatrie, ils s’appuient eux aussi en partie sur la culture traditionnelle africaine. Dans cette optique, pour ne jamais briser le lien des internés avec leur milieu social d’origine, ils encouragent la présence à leurs côtés d’un ou plusieurs accompagnants susceptibles de faciliter le dialogue avec l’équipe médicale et la réinsertion future.

Ce qu’il reste de la folie évite l’écueil didactique. Dépouillé de tout commentaire, le documentaire nous permet d’accueillir toutes les paroles, porteuses de positions théoriques variées, avec la même ouverture. Avec son montage équilibré, alternant scènes de la vie quotidienne à l’hôpital psychiatrique, séances d’entretien avec le docteur Sara, interviews des marabouts, libre parole des patients, Joris Lachaise nous permet de nous imprégner d’un large spectre de points de vue possibles qui enrichissent nos réflexions sur l’intérêt différentiel ou complémentaire des approches universalistes ou culturalistes en psychologie sans nous prémâcher de conclusion. Passionnant.

F.L.