Tatouage est l’adaptation d’une nouvelle de Unichiro Tanizaki, l’auteur de l’Éloge de l’ombre, publié en 1910. Se déroulant sous l’ère Edo, le scénario relate l’histoire d’Otsuya une jeune femme (magnifiquement interprétée par la muse de Yasuzo Masumura, Ayako Wakao) dont l’araignée tatouée dans son dos finira par la posséder, l’arachnide la conduisant à être le témoin, l’instigatrice, ou l’actrice d’une série de meurtres.

Toutefois, au fur et à mesure du film, alors que la jeune femme ne cesse de clamer « c’est la faute de l’araignée », l’influence néfaste de son tatouage apparait de moins en moins évident au spectateur. En effet si elle s’est retrouvée tatouée dans une maison de Geisha, l’élément déclencheur de ses actions est plutôt à chercher dans sa fuite avec son amant Sinsuke hors de la maison paternelle. Avant même d’être tatouée, elle avait donc des velléités de ne pas être dans la norme, et surtout c’est elle qui dominait déjà son amant, rempli d’hésitation au moment de franchir le pas. Le tatouage ne serait donc que la marque révélant un état antérieur. Mais une autre question se pose alors : est-elle vraiment une intrigante, une femme fatale, ou à l’opposé n’est-ce pas la faiblesse et la concupiscence des hommes qui les mènent à leur perte ? Enfin, cette femme n’accomplit-elle pas après tout, d’une façon certes radicale, ce que chaque femme désire, à savoir avoir une vie libérée du patriarcat et la domination masculine ?

Rien, même pas la fin ce film ne nous donne d’indication claire au sujet de ces pistes contradictoires. Mais n’est-ce justement pas cela l’intention de l’auteur ? Permettre au spectateur de se pencher sur les pulsions conscientes et inconscientes de l’âme humaine dans laquelle passion ne rime pas avec raison, moralité avec pragmatisme, et destin avec discernement. De cette intrigue, simple dans le déroulement des faits mais tortueuse quant aux réelles motivations des différents protagonistes, Yasuzo nous livre un film fantastico-érotique, habillé de rouge et de fureur, dont la violence ne se traduit pas tant dans les meurtres successifs, très chorégraphiés, que dans les sentiments portés à leur paroxysme.

Laurent Schérer