Mocky était à l’aise dans de nombreux genres cinématographiques : la comédie, le policier, le thriller.  En 1964, il s’est aventuré aux frontières de l’étrange avec La cité de l’indicible peur, une comédie policière pleine de fantaisie, coécrite avec Raymond Queneau. Avec Litan, réalisé en 1982, il plonge cette fois-ci pour de bon dans le surnaturel, en signant un long-métrage ouvertement fantastique où la mort sous toutes ses formes vient hanter les vivants.

Pour l’écriture de son film, il peut compter sur deux spécialistes du genre : Scott Baker, écrivain de science-fiction auréolé de nombreux prix, et Jean-Claude Romer, qui est une figure essentielle du genre en France. Ce dernier a fait connaître au public français le cinéma fantastique grâce à la revue Midi-Minuit Fantastique. Il participa également aux festivals de Paris et d'Avoriaz autour du cinéma de genre. Il fut enfin un fidèle collaborateur de Pierre Tchernia pour l’émission Monsieur Cinéma où il écrivait les questions posées à l’antenne.

L'univers de Litan est lié aux souvenirs d’enfance de Mocky dont la famille venait d’Europe de l’Est. Par le biais de ce film, le réalisateur voulait retrouver l’atmosphère des carnavals traditionnels de son enfance où la mort était au centre de toutes les intentions. Il met ainsi en scène une inquiétante fanfare qui ne cesse de jouer une ritournelle morbide pendant que des feux follets envahissent la ville et poussent des individus étrangement masqués à s’entretuer. Mocky faisait très attention à l’ambiance de ses films. Il a choisi pour Litan de tourner à Annonay en Ardèche. Grâce à ses tanneries et ses rues tortueuses laissées à l’abandon, la ville, qui avait été vidée de ses habitants par la désindustrialisation, dégageait une ambiance mortifère idéale pour créer une ambiance fantastique. Pour Mocky c’était donc le meilleur cadre pour une œuvre parlant de fantômes.

Au casting, on retrouve dans les rôles principaux Jean-Pierre Mocky et Marie-José Nat qui aurait remplacé au dernier moment Mia Farrow  prévue pour le rôle. Concernant cette dernière anecdote, il faut quand même se méfier de Mocky qui aimait construire sa légende. Actrice solide qu'on a vu chez Gérard Oury et Aldo Lado, Marie-José Nat s’avère très bonne dans le film alors que son réalisateur n’a cessé de dire qu’elle ne comprenait rien au scénario. Enfin, n’oublions pas le chanteur Nino Ferrer (qui s’occupe aussi d’une grande partie de la BO) dans le rôle d’une sorte de docteur Frankenstein. Ce n’est pas le meilleur acteur du monde, néanmoins il a un charisme naturel qui lui permet de plutôt bien passer à l’écran surtout que Mocky soigne plus l’ambiance que son propre jeu d’acteur.

Litan s’apparente à un cauchemar... En effet, ce long métrage désoriente souvent son spectateur à cause de son histoire qui refuse à la fois les liens de cause à effet et le psychologisme.  Nous sommes ici très éloignés du fantastique anglo-saxon qui repose sur une confrontation entre l'irrationnel et le rationnel. De toute façon, Mocky est bien conscient qu’il marche sur un fil avec ce film qui flirte parfois avec le grotesque. À ce titre, il intègre plusieurs fois dans son montage des plans avec un funambule qui menace à tout moment de se fracasser par terre. Litan est aussi loin d’être parfait techniquement. Le montage est parfois chaotique et les doublures cascade sont visibles. Cependant, Il ne faudrait pas oublier que malgré un budget plus que limité, Mocky et son génial chef opérateur Edmond Richard (collaborateur entre autres de Wells, Carné ou Buñuel) arrivent la plupart du temps avec quelques masques et un épais brouillard à sublimer leurs décors naturels pour donner vie à l’écran à une sorte d’Alice au pays des merveilles mortifère. Il est clair que cette œuvre laissera sur le bord de la route les esprits rationnels en raison de son récit aux confins de l’absurde. Néanmoins, si vous êtes amateur d’étrangeté, vous serez sans doute comblés par cette œuvre essentielle du cinéma fantastique français qui n’a rien à envier à l’univers d’un Franju. Indispensable ! Tout simplement.

Mad Will