Saules aveugles, femme endormie est un long métrage d’animation qui adapte plusieurs nouvelles de l'écrivain japonais Haruki Murakami. Le réalisateur Pierre Földes a mélangé les titres : Crapaudin sauve Tokyo - Un ovni a atterri à Kushiro - Le jour de ses vingt ans - Le petit grèbe - Saules aveugles femme endormie - L’oiseau à ressort - Les femmes du mardi, composant un nouveau récit où s’entrecroisent les personnages des nouvelles, et fournissant ainsi une histoire fantastique et onirique autour d’êtres en quête d’identité dans un Japon traumatisé par le tremblement de terre et le tsunami de 2011.

Nous prenons ainsi connaissance de Kyoko, une femme qui part de chez elle après avoir visionné cinq jours durant à la télévision les informations sur le tsunami, laissant son chat en vadrouille et son mari Komura se débrouiller tout seul. Ce dernier en profite alors pour partir vers le Nord pour une livraison bien mystérieuse.

La déroute du spectateur face à des images fantastico-oniriques est métaphorique du dérangement du monde et de ses habitants. La société nippone est d’ailleurs si troublée qu’il lui faudra l’aide de Frog, une grenouille géante, pour retrouver un semblant d’ordre. Ce batracien sollicitera l’aide d’un collègue de Komura, Katagiri, employé inhibé, exploité par ses chefs, mais qui, d’après l’animal parlant, est capable de sauver Tokyo d’un nouveau, gigantesque, et imminent tremblement de terre. La catastrophe de 2011 sera, pour ces quatre personnages, un « tremblement de vie ».

On ne saisit pas toujours tout au cours des sept chapitres de ce long métrage d’animation. Il faut donc se laisser porter par les images et les événements sans forcément chercher à tout analyser à l’instar de Komura qui ne peut s’expliquer le comportement de sa femme ou de Katagiri qui ne peut encore moins comprendre la venue de la grenouille géante. De plus, les multiples points de vue favorisent les digressions, par ailleurs soulignées par des choix graphiques tranchés. On pense à « l’arrière-plan » où les personnages secondaires et les décors deviennent carrément transparents. Ces choix graphiques, rapidement assimilés, deviendront une aide, car délimitant la part du récit principal de celle des parties oniriques. Ils permettent donc de mieux suivre la trame d’un récit décousu au premier abord, mais dont on comprend peu à peu la forte cohérence.

Les familiers de Murakami y retrouveront leur compte, l’éminent écrivain japonais nous ayant habitués à des récits souvent peu réalistes. Les autres découvriront un monde dans lequel la poésie semble avoir plus de place que la raison. Mais au final on se sent à l’aise dans ce film assez drôle et triste à la fois. On passe un bon moment, appréciant le regard critique du réalisateur sur la société japonaise et les relations humaines.

Laurent Schérer