Si vous êtes des lecteurs assidus de ma prose, vous savez déjà que j’aime beaucoup le réalisateur Christian de Chalonge qui a signé l’adaptation au cinéma de Malevil (voir article). Son univers fantastique, son goût pour le mystère ravit en effet le fantasticophile que je suis. Son Docteur Petiot qui met en scène l’un des serials killers les plus connus de notre histoire criminelle, emprunte beaucoup dans son esthétisme à l’expressionnisme allemand afin de dresser le portrait peu reluisant d’une France collaborationniste. Le film s’ouvre ainsi dans une salle de cinéma ou Petiot regarde un film réalisé à la manière du Nosferatu de Murnau. Décors géométriques, usage de plongées ou de contre-plongées, noir et blanc très contrasté, le film fait irrémédiablement penser au Cabinet du docteur Caligari et aux oeuvres de jeunesse de Lang. Considérant que cette esthétique était le reflet en son temps d’une Allemagne combattant ses démons intérieurs qui alimenteront le nazisme à venir, de Chalonge va irriguer tout son film de cette même esthétique faisant de Petiot une créature de la nuit prête à perpétrer les pires exactions dans un Paris crépusculaire. Cette approche formaliste assez inédite en France dans le cinéma autour de l’occupation ne cherche ainsi jamais le réalisme, mais essaye par son esthétique de rendre le chaos du monde. Le film est porté par un Serrault monumental, sorte d’enfant psychopathe dont le chaos permet de se livrer à ses pires méfaits. Ainsi, la figure du serial killer a ici une fonction avant tout symbolique : le tueur en série symbolise les agissements de certains Français qui pour s’enrichir ou laisser libre court à leurs pulsions, se mettent au service de l’Allemagne nazie.  En mettant en scène exclusivement ses crimes sur des familles juives (Petiot avait tué aussi des malfrats, des collabos ou des résistants), de Chalonge crée un monstre à l’écran qui devient la métaphore de la collaboration au service de la Shoah.  Docteur Petiot est un film qui ressemble au cauchemar d’un enfant prêt à tout détruire pour jouir pleinement comme le rappelle cette comptine que Serrault chante plusieurs fois dans le film avec des rires à vous glacer le sang : « Ah ! vous dirai-je, maman, / Ce qui cause mon tourment. / Papa veut que je raisonne, / Comme une grande personne. / Moi, je dis que les bonbons / Valent mieux que la raison. »

Une oeuvre forte et magnifiquement réalisée, dont le final rappelle avec beaucoup d’émotion les crimes de certains de nos concitoyens qui à l’instar de Petiot sont devenus des résistants en 1944. Un chef-d’oeuvre tout simplement.

Mad Will