Trente-quatre millions de Chinois vivent dans la municipalité de Chongqing, faisant d’elle la plus grande agglomération du monde. Au cœur de cette fourmilière, un petit quartier très populaire vit ses derniers instants. C’est Shibati, un ensemble de ruelles délabrées et de maison de fortune sur le point d’être démolies par les autorités chinoises. Malgré l’extrême pauvreté de ses habitants et leurs conditions de vie difficile, il règne à Shibati une vraie vie de quartier. Bien qu’on leur promet d’être rapidement relogé dans des constructions saines et neuves, les habitants peinent à quitter les lieux. Le Français Hendrick Dusoll

ier est allé à leur rencontre et, malgré l’absence d’un interprète (et un chinois très rudimentaire), a réussi à tisser un lien très fort avec certains d’entre eux.

Il y a Monsieur Li le coiffeur de Shibati qui s'agrippe à son salon jusqu’aux derniers instants. Ici tout le monde y passe, sous l’œil bienveillant de Madame Li qui fait la conversation et s’assure toujours que leur visiteur français ait pu diner à sa faim. Monsieur Li, lui, a très envie de parler de la France (même s’il a un peu tendance à la confondre avec les Etats-Unis) et se réjouit à chaque fois que le cinéaste franchit le pas de son salon.

Il y a aussi Zhou Hong, un petit garçon de sept ans, qui sert de guide à Hendrick Dusollier dans le labyrinthe de Shibati. Zhou Hong fait le lien entre le monde extra-moderne de Chongqing et les dernières pierres de Shibati. Du haut d’une colline, il regarde émerveillé les tours illuminées dans lesquelles il n’a pas grandi. Même s’il est l’un des rares à s’aventurer dans le centre commercial (qu’il surnomme La Cité de la lumière de la lune) pour regarder d’autres enfants jouer aux jeux vidéo, il concède que le métro lui donne mal à la tête et que le Coca Cola est une boisson bien trop sucrée.

Et enfin, même si chaque protagoniste à son intérêt, il y a Madame Xue Lian qui crève l’écran par sa folie et sa candeur. Cette femme d’un âge déjà certain n’a aucun mal à escalader des murs et dévaler des escaliers pour dénicher les trésors dont elle raffole. Elle trie quotidiennement des déchets en échange de quelques sous, mais cela lui permet surtout de collecter un nombre impressionnant de babioles qu’elle entasse et qu’elle chérit. La destruction de Shibati est pour elle un véritable drame car même si elle réussit à sauver les pièces maitresses de sa collection (une tête de cheval taille réelle, un champignon factice d’un mètre de haut…) elle devra se séparer de la plus grande partie. Elle voit en l’intérêt que lui porte Hendrick Dusoll

ier, qu’elle surnomme “Le Professeur”, un immense honneur et se réjouit que grâce à lui un morceau d’elle soit exporté en Occident. C’est sans doute le personnage le plus attachant car le plus triste… Comment une femme aussi âgée, seule et avec un grain de folie bien prononcé pourra-t-elle survivre là-bas, dans le monde moderne qu’elle n’a jamais connu ?

Derniers jours à Shibati a remporté de nombreux prix, dont celui du Grand Prix de la compétition française au Cinéma du Réel qui récompense chaque année les meilleurs documentaires. Il y a en effet quelque chose de l’ordre de l’information “pure” et “brute” dans son cinéma, auquel il n’ajoute aucune voix-off, mais dans lequel il se plonge lui-même sans armement, sans comprendre un mot ce que lui disent ses interlocuteurs (qui du coup ne se privent pas de parler de lui en sa présence), ni donner de précisions sur le contexte politique local. Pourtant, l’information (et l’émotion) circule d’elle-même, par les témoignages de cette petite poignée de Chinois à qui on impose du jour au lendemain de se débrouiller dans l’inconnu.

S.D.