A l’âge où les autres garçons renforcent leur virilité en commettant en bande des transgressions diverses, Pablo (Andrew Bargsted), beaucoup plus attiré par l’univers féminin, aime passer des heures à se maquiller et se travestir devant son miroir. Lorsqu’il est victime d’un crime homophobe, son père (Sergio Hernandez) se démène en vain pour que justice lui soit rendue.

Ne comptant plus les films mettant en scène des homosexuels sortant progressivement du placard jusqu’à une lacrymale scène de cabaret finale, on est lassé d’avance d’assister à la trajectoire de celui-ci, aussi attachant soit-il. C’est sans compter sur Alex Ánwandter qui, pour raconter l’histoire vraie d’un jeune victime d’une ratonnade, fait disparaître son personnage entre la vie et la mort dans un hors-champ pudique dès les premières minutes du film. Sa caméra a alors tout loisir de se recentrer sur le père du jeune homme, aussi banalement hétérosexuel et homophobe que la majorité de ses concitoyens.

C’est toute l’originalité du scénario du réalisateur chilien, et son intelligence, de filmer le désarroi d’un homme dénué de la moindre once d’inclination pour l’anti-conformisme ou l’engagement politique, qui découvre l’injustice de l’homophobie en la subissant par ricochet. La meilleure amie du jeune homo et sa docteure sont à l’avenant, loin de tout manichéisme, humains, trop humains, avec leur lâcheté, leur froideur, mais aussi leur générosité profonde qui n’a parfois besoin que d’une occasion pour se révéler au grand jour.

Mais ce n’est pas son seul coup de génie. Sa photographie, volontairement sous exposée, rappelle l’ambiance désenchantée des films de Cassavetes. Son idée de faire du père un fabriquant de mannequins est une trouvaille graphique passionnante qui donne lieu à des suggestions visuelles d’une grande beauté sur le corps, son articulation, son démembrement potentiel. Cerise sur le gâteau, la bande son, toute en cordes grinçantes et larsens, exprime avec une belle intensité la déréliction croissante du personnage principal au fur et à mesure qu’il se heurte au vide juridique entourant les crimes homophobes. Dans Plus jamais seul, c’est donc une grande créativité scénaristique, photographique et musicale qu’ Alex Ánwandter met au service de la dénonciation d’une discrimination déplorablement toujours vivace.

F.L.