Céline (Juliet Berto) et Julie (Dominique Labourier) sont magiciennes. Grâce à leur fantaisie, elles ont le pouvoir d’enchanter les actions les plus quotidiennes. Quand la seconde rencontre la première, celle-ci sème ses fanfreluches derrière elle tel le Petit Poucet. C’est qu’elle ne s’encombre pas de grand-chose, tant la liberté l’habite, de ses choix vestimentaires à son franc-parler. Très vite, se découvrant des atomes crochus, les deux femmes se content leurs aventures respectives et se mettent même à les partager, en jouant de leur ressemblance pour échanger leurs rôles.

Jacques Rivette nous offre un objet filmique non identifié. Très Nouvelle vague, Céline et Julie vont en bateau déconstruit l’unité des personnages et de la narration. Ce que nous savons des deux héroïnes est toujours soumis au doute, puisqu’elles fabulent énormément. Cette tendance à vivre bon nombre d’aventures en imagination est amplifiée par la possibilité que le réalisateur leur donne de se projeter dans la tragi-comédie quotidienne des habitants d’une étrange bâtisse rue du Nadir-aux-Pommes (Bulle Ogier, Marie-France Pisier & Barbet Schroeder), dont elles démêlent les intrigues à mesure qu’elles sucent des bonbons magiques. A mille lieues d’elles, ces gens-là se complaisent dans des poses mélodramatiques stéréotypées. Avant que ces grandes personnes psychorigides ne contaminent l’innocente petite fille qui grandit auprès d’elles, les deux magiciennes vont la kidnapper pour la soustraire à l’ancien monde et lui permettre de jouir de la liberté du nouveau. Le contraste saisissant entre la désinvolture de Céline et Julie (y compris avec le langage auquel elles font subir des distorsions cocasses) et le sérieux emphatique des actrices du film en abyme permet à Rivette de rendre plus manifeste le caractère novateur de sa proposition cinématographique s’inscrivant en porte-à-faux des normes de mise en scène du cinéma classique.  

F.L.