À l’occasion d’une rétrospective à la cinémathèque française consacrée au réalisateur italien Damiano Damiani, le distributeur Les acacias nous permet de revoir en version restaurée Les femmes des autres sorti en 1963. Dans ce film Damiani nous présente une bande de presque quadragénaires, anciens amis de lycée, qui se retrouvent à l’occasion d’un diner et décident comme au temps de leur jeunesse d’une virée nocturne en quête de filles.

Pour présenter Alberto, Livio, Sandro et Nino, le réalisateur n’y va pas par quatre chemins. Il dresse le portrait d’hommes parvenus, vulgaires, frustrés, misogynes, racistes, vénaux, bref vous l’aurez compris fort peu sympathiques. Un cinquième homme est rejoint par le groupe. Il s’agit de Césarino qui n’a pas réussi comme ses anciens amis devenus pour l’un médecin, l’autre avocat, ou bien encore entrepreneur... Il gère un cinéma, propriété de son oncle qui le maltraite plus qu’il ne le laisse agir. Mais n’ayant pas « réussi », les  autres l’ont laissé sur la touche.

Si Césarino est l’homme le plus émouvant de la bande, car beau parleur et poète à ses heures, il n’est cependant pas non plus un modèle. Traité « d’enfant » par l’un de ses amis car incapable de faire de choix entre ses femmes ou ses possibilités de travail, il est aussi qualifié de « maquereau » par l’une des filles rencontrées durant la virée nocturne, car il fournit en proies ses anciens camarades, ne cessant pour cela de téléphoner à ses très nombreuses ex. Aidé par les membres de la bande dans le passé, il se sent redevable envers eux et cherche à combler leurs désirs. Césarino provoque même une certaine sympathie, par sa façon d’aimer et de pardonner à tous ceux qu’il côtoie, même à ceux qui ont les pires défauts. Cherchant toujours à arranger les problèmes, il veut sauver tout le monde sans que cela lui soit forcément demandé.

Les autres stars de ce film sont les représentantes de la gent féminine. En effet, elles dévoilent par leur présence la vraie nature des hommes en mettant en lumière leur pratique de mufles sous leurs dehors bourgeois. Comme le note l’une d’elle « Vous épousez des femmes puis les massacrez derrière leur dos ». (Aïe ! dans leurs qualités j’avais oublié la lâcheté et le mensonge !) Une autre fois Tina n'hésite pas à recadrer Nino penché sur son décolleté : « Mes seins, dit-elle, je voudrais ne pas les avoir. Tous les fixent. Impossible de parler sans ces regards ». Lucide sur la suffisance masculine, elles le sont aussi sur leur condition : « je subis, au bout du compte je fais toujours ce que les autres veulent ». Victimes résignées ou consentantes de la marchandisation de leur corps, elles n’ont pas dans la société que décrit Damiani la possibilité et/ou la volonté d’une vraie révolte.

Sur la forme, le réalisateur est assez habile pour faire ressentir au spectateur son point de vue par le montage sans en rajouter par le biais de dialogues sur explicatifs. Je donnerai pour exemple une coupe entre une séquence qui finit sur Alberto qui déshabille (sans son consentement) Carla, suivie immédiatement par un plan où Sandro questionne à la sortie du cinéma une spectatrice par un « Mademoiselle, le film ne vous a pas plu ? ». On sait donc tout de suite comment s’est déroulée la scène précédente coupée dès les prémices.

S’ouvrant sur un plan de ville en construction où les immeubles s’élèvent au milieu d’un ballet de grues, cette comédie de mœurs féroce et anticonformiste se conclut sur un constat amer où les  hommes se retrouvent largués et sans illusions. « Le miracle économique est fini » déclare l’un des personnages. Fin surtout du miracle de l’éternelle jeunesse et du pouvoir de séduction. Seul Césarino semble prêt à s’en sortir en reconnaissant que c’est grâce au cinéma qu’il pourra  continuer à rêver par-delà les aléas de la vie.

Un film qui soixante ans après son tournage, se laisse encore regarder avec intérêt.

Laurent Schérer