Au printemps 2016, dans l'espoir de tarir le flot des réfugiés qui tentent de rejoindre le nord de l'Europe via l'est de la Méditerranée, les gouvernements de Serbie, Slovénie et Macédoine décident conjointement de fermer la route des Balkans. A Idomeni, au nord de la Grèce, des milliers de civils fuyant leur pays en guerre se retrouvent bloqués du jour au lendemain sur la route d'une migration inachevée.

   Malgré ce que son titre et son sujet pourraient laisser penser, Des spectres hantent l'Europe est un film joyeux, parfois même burlesque. A rebours d'un cinéma qui voudrait provoquer la pitié en inondant le spectateur d'images-choc, Maria Kourkouta et Niki Giannari ont choisi d'« enregistrer l'attente » pour pouvoir ensuite faire expérimenter au spectateur cette condition temporelle propre au migrant. Leurs images captent ainsi les migrants dans la simplicité de leur vie quotidienne, dans leurs querelles dérisoires, dans leurs manœuvres de séduction maladroites, dans la myriade de petites actions nécessaires qu'ils s'inventent pour tromper l'attente.

   Des spectres hantent l'Europe, d'ailleurs placé sous l'égide de Marx, n'en est pas moins politique. Ces longs plans fixes sur les piétinements absurdes d'hommes, de femmes et d'enfants bloqués à la frontière, juste en lisière d'une voie ferrée où les trains de marchandises, eux, continuent leur route sans encombre, sont une sorte de condensé allégorique de ce qu'est le nouvel ordre mondial néolibéral, dont la valeur de liberté est si immoralement liée à l'économie : libre circulation des marchandises et des capitaux, entraves à la circulation des hommes. L'herméticité sélective de la frontière gréco-macédonienne qu'ont filmée Maria Kourkouta et Niki Giannari matérialise parfaitement le double standard du néolibéralisme, qui s'avère très protectionniste lorsqu'il s'agit d'entraver la mobilité d'êtres humains souhaitant simplement vivre en paix.

F.L.