Aujourd'hui, je vous invite à découvrir un film particulier, une œuvre inclassable de l’histoire du cinéma qui mélange avec délice le conte macabre pour enfants et la comédie musicale sucrée.

Je dois bien l'avouer, ma vie de rédacteur pour Chacun Cherche Son Film est assez semblable à celle d'un archéologue traversant la steppe de Sibérie ou les temples jordaniens pour retrouver un film méconnu dans une quelconque cinémathèque exotique. Ma trouvaille du jour pour laquelle j’ai risqué ma vie en combattant ardemment une tribu amazonienne mangeuse d’hommes est Chitty Chitty Bang Bang.  Un film d’autant plus singulier que son scénario est cosigné par l’écrivain Roald Dahll (Charlie et la Chocolaterie...). Une fois encore, cette oeuvre originale était plutôt passée inaperçue à l'époque de sa sortie en France en 1969. Une réalisation bien trop fantaisiste pour l'Office catholique international du cinéma qui ne pouvait s'empêcher de voir la trace du malin dans les oeuvres d'imagination. De la même manière, un divertissement aussi flamboyant ne pouvait être apprécié par les revues intellectuelles et critiques de l'époque qui considéraient qu’une oeuvre cinématographique devait être réaliste, maoïste, et proposer un discours politique et sociologique sur le monde.

Chitty Chitty Bang Bang est un roman d’aventures pour la jeunesse signé par Ian Fleming (le papa de 007) qui met en scène une famille au volant d'une voiture aux ressources insoupçonnées capable de voler ou de plonger dans les fonds sous-marins pour chasser les malfrats. Albert R. Broccoli qui produisait déjà les Bond au cinéma commanda un scénario à Roald Dahl avec qui il avait collaboré sur On ne vit que deux fois. Le choix du romancier de Charlie et la Chocolaterie lui-même ancien espion et qui avait bien connu Fleming semblait un excellent choix. De plus, il pouvait mettre sur l’affiche, le nom de deux auteurs britanniques parmi les plus populaires de leur époque.

Toujours à recherche de personnalités connues du public, Albert R. Broccoli engage pour occuper l'écran, le sémillant Dick Van Dyke, le ramoneur de Mary Poppins qui montre ici toute l’étendue de son talent  Son jeu d’acteur, sa voix, son sourire resplendissant et ses aptitudes pour la danse font de lui une sorte de Gene Kelly pour les plus jeunes. De la même façon, il réquisitionne également deux compositeurs réguliers de la firme à grandes oreilles : Richard M. Sherman et Robert B. Sherman qui signèrent bon nombre de morceaux pour Mary Poppins, le Livre de la jungle et bien d'autres films encore. Concernant la réalisation, il engage le méconnu Ken Hughes qui avait signé en partie un Bond non officiel. Il place néanmoins à ses côtés le premier assistant de Kubrick, Brian W.Cook pour surveiller que les 10 millions engagés sur le film soient correctement dépensés.

Il était évident que le producteur voulait rivaliser avec Disney et proposer le divertissement familial capable d’occuper les écrans du monde entier, après avoir fait de Bond la figure du cinéma d’action. L'équipe de haute volée qu'il monte pour le film va faire de Chitty Chitty Bang Bang, une oeuvre unique d'une grande beauté où l’on discerne assez facilement les influences de chacun de ses intervenants. Avec ce film, le producteur de Bond accouche d'une sorte de « Ben-Hur » pour enfants qui multiplie les décors riches, les saynètes musicales et s'avère au final un magnifique voyage pour les sens. Si la première partie est proche de Fleming avec ses gadgets et sa course de voiture inaugurale, l’univers de Dahl contamine au fur et à mesure le récit, prenant de grandes libertés par rapport au roman original. L'écrivain britannique oublie très vite sa voiture volante pour nous proposer une fable assez unique.

Mais au fait que raconte Chitty Chitty Bang Bang ?

En Angleterre, Caractacus Potts, inventeur farfelu et veuf, vit dans la misère avec ses deux enfants. Un jour, cependant, il achète une ancienne voiture de course et vit des aventures incroyables au dangereux pays de Vulgarie...

Ce qui frappe d’abord dans Chitty Chitty Bang Bang , c’est la magnificence de ses couleurs. Il est à noter que la copie sur Netflix est de toute beauté. C’est un régal absolu pour les yeux avec des couchers de soleil qui rappellent les plus belles heures de la peinture flamande. Chatoyantes et vives, ne cherchant pas forcément le réalisme, les couleurs très «Technicolor» du film explosent littéralement à l’écran et donnent à l’image une flamboyance extraordinaire. À noter que la lumière est l’oeuvre de Christopher Challis qui commença sa carrière avec Michael Powell et qui éclaira les réalisations de Billy Wilder, Stanley Donen ou encore Blake Edwards.

De la même manière, le film mêle avec bonheur les prises de vue en studio et les décors réels. Dans la ligne de la Demy, la comédie musicale commence à s'affranchir des tournages exclusivement en studios. Ce choix permet au film malgré certains effets spéciaux d'époque de plutôt bien passer les années, conservant une patine unique qui le protège des affres du temps passé.

Les chorégraphies du film sont très réussies que ce soit la scène de la foire avec le bâton ou bien encore cette séquence d’une grande poésie où nos héros deviennent des jouets. Tout simplement l'une des plus belles scènes de comédie musicale jamais vue au cinéma. Un sommet de poésie qui vaut mieux que les millions en effets spéciaux qu’Hollywood dépense actuellement. Un instant magique grâce aux talents respectifs de Sally Ann Howes et Dick Van Dyke qui font de ce film une oeuvre hautement recommandable.

Ce long-métrage avait tout pour être le Mary Poppins made in England. Pourtant cette oeuvre n’est pas aussi reconnue que les classiques du grand Walt même si le film est devenu un show musical à succès dans certains pays anglo-saxons. En voulant créer un spectacle total, sorte de 10 commandements de la comédie enfantine, le film atteint quand même les 2 heures 30. Mêlant les gadgets à la Bond à un conte gothique et à des intermèdes chantés, Chitty Chitty Bang Bang est-il un film trop généreux ?

Pas forcément. Sa richesse et sa volonté de spectacle totale font de ce long-métrage une oeuvre plus intéressante et riche thématiquement que bon nombre de productions pour les enfants. On a souvent reproché au film d’adopter une structure composée de deux histoires bien distinctes avec une deuxième partie où l’on sent véritablement la patte de Roald Dahl. Ce changement de ton assez inédit dans l’histoire du cinéma est clairement mis en scène avec un entracte au milieu de film qui est conservé par Netflix sur la copie qui nous est proposée. Il faut savoir que cette pause à l'époque permettait le changement de bobines pour un film d'une telle durée qui ne pouvait être diffusé en continu au cinéma

On passe ainsi d'une comédie musicale plutôt gentillette mettant en scène un père qui s’interroge sur la nécessité de subvenir aux besoins de sa famille à une fable aux relents gothiques qui met en scène un terrifiant voleur d'enfants au service d'un roi grotesque. Il est évident que l’écrivain anglais n'était pas tellement intéressé par la figure de la voiture remplie de gadgets créée Ian Fleming. Même si elle donne son titre au film, elle est juste l'incarnation d’une première réussite pour un homme qui perdait confiance en lui. Comme dans la plupart des oeuvres de Roald Dahl, le film une fois encore traite de l'adversité qui doit être dépassée par ses protagonistes comme dans James et la Pêche géante ou Matilda. Le héros interprété par Dick Van Dyke ne dit pas autre chose aux enfants emprisonnés dans le bouleversantHushabye Mountain qu'il entonne et que je vous invite à écouter ci-dessous :

Le recours à l'imaginaire n'est jamais gratuit chez l'auteur anglais qui a connu les horreurs de la guerre, c'est un filtre qui permet d'avancer dans un monde dont il ne cache jamais la noirceur à son jeune public. Chitty Chitty Bang Bang se vit comme un rêve, si vous acceptez le voyage, je vous promets un enchantement permanent.

Si vous êtes amateur de la comédie musicale, de l'univers iconoclaste de Roald Dahl où de voitures volantes, vous serez ravis. Un indispensable recommandé par l’auteur de ses lignes.

Mad Will