Un film singulier de Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard qui construit son univers entre chronique sociale et film fantastique. Une étude de la perception des autres et au final de la transparence de l'être.

La critique :

Dominick (Jean-Christophe Folly) est né avec la faculté de pouvoir disparaître, moyennant un petit rituel. À bientôt quarante ans, il ne fait plus vraiment usage de son don et le garde secret, même de sa petite amie Viveka (Isabelle Carré). Mais depuis quelques temps, rien ne tourne rond, le pouvoir se détraque, Viveka veut partir, des gens se jettent en masse sous le métro, et un vieux copain veut absolument renouer. Et Dominick, lui, continue de vivre dans l'insouciance.

Cet étrange protagoniste est doté du même pouvoir d’invisibilité que Juste, le héros de Vif Argent , un autre film français sélectionné à l’ACID sorti fin août dernier. Mais à la différence de Juste, Dominick est maître de son pouvoir et peut ainsi choisir d’apparaître ou non. Il s’en sert pour s’échapper d’une situation embarrassante ou pour espionner sa jolie voisine. Là où Stéphane Batut usait du surnaturel à des fins oniriques, il est au contraire chez Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard un moyen d’enfoncer le personnage dans un univers tout sauf extraordinaire. En effet, Dominick mène une existence morose, entre le sous-sol du magasin de musique où il range des cartons, et son appartement impersonnel qu’il occupe le plus souvent de nuit, lorsqu’il rentre du travail. Il est le smicard, sans histoire, invisible dans la société.

Malgré cette métaphore de l'invisibilité sociale qui plane, le film n’a pas l’allure d’un manifeste mais se contente d’observer un individu dont le super pouvoir s’atténue, le rendant chaque jour un peu plus banal. Le geste politique, s’il existe, est ailleurs. Jean-Christophe Folly est un comédien noir, et sa couleur de peau “n’apporte rien” au scénario, un choix assez rare pour le souligner. Son personnage est un monsieur tout le monde avec des problèmes ordinaires de couple et de carrière. Le choix d‘un acteur noir pour représenter le français moyen (déjà opté dans L’Autre, second film des cinéastes) est un pied de nez aux nombreuses fictions qui cantonnent leurs personnages racisés à des rôles secondaires ou stigmatisés.

L’Angle Mort est un film singulier qui réussit, notamment grâce au travail du chef opérateur Jonathan Ricquebourg, à instaurer un climat anxiogène où tout se passe en lieux capitonnés, sous les lumières blafardes des souterrains ou des couloirs d’immeubles. Dans une ambiance de fin du monde, le cynisme de Dominick et la fraîcheur de Viveka autorisent cependant le récit à respirer, et à soulager le spectateur du bourdon pré-hivernal. Étoffé par de nombreux petits rôles, le film construit son univers entre chronique sociale et film fantastique, un genre propre à ses réalisateurs à qui l’on devait déjà Dancing et L’Autre. C’est avec troisième film, moins inquiétant et plus léger, que l’équilibre semble avoir été trouvé.

Suzanne Dureau

La bande annonce :