Comprendre et analyser l’évolution artistique d’une cinéaste est une expérience fascinante. Dans le cas du réalisateur Jamin Winans, l’exercice est facilité par la présence de son précédent long-métrage sur Outbuster. À ce titre, je vous invite à regarder à la suite Ink et The Frame . Je vous assure que vous allez découvrir un cinéaste dont l’univers est bien plus riche que celui des blockbusters hollywoodiens actuels.

Je ne reviendrai pas ici sur son précédent film (voir ma critique). Néanmoins, il faut savoir qu'Ink a remporté un immense succès sur Internet. Jamin Winans est alors repéré par l’agent artistique des frères Coen qui le fait venir à Hollywood. Mais très vite, le réalisateur se rend compte que La Cité des anges n’est pas faite pour lui. Il reçoit des propositions seulement pour des oeuvres de commande comme Les Tortues Ninjas. Plutôt que de disparaître des écrans en faisant une œuvre aseptisée où il n’a aucun contrôle. Il repart dans son Colorado natal et réalise The Frame pour  350 000 dollars.

Son nouveau long-métrage est une réussite d’un point de vue technique. On est même bluffé par l’ampleur visuelle du film qui semble avoir coûté beaucoup plus que son budget de 350 000 dollars. Avec des moyens supérieurs à celui de son micro-budget Ink , Jamin Winans rivalise sans aucun problème avec les films de studio. De plus, il démontre ici des aptitudes de direction d’acteur qu’on ne lui connaissait pas auparavant. Les deux interprètes du film, David Carranza et Tiffany Mualem sont en effet excellents. Ils jouent avec beaucoup de conviction deux individus qui prennent conscience que leurs vies sont connectées par le biais de leur écran télé. Chacun semble suivre la vie de l’autre par l’intermédiaire d’un feuilleton les mettant séparément en scène jusqu’au jour où ils finissent par s’adresser la parole par écran interposé.

The Frame est une œuvre existentielle qui réfléchit à notre rapport à la fiction tout en nous posant la question de l'existence d’un Dieu créateur. On est ici frappé par la rigueur du cinéaste qui arrive à allier l’émotion et les interrogations métaphysiques tout en pensant à ne jamais laisser son spectateur sur le bord de la route. Le long-métrage commence de façon réaliste. Nous suivons une ambulancière altruiste qui essaye de faire du mieux possible son travail et un jeune homme rattaché aux cartels qui essaye d’échapper à son milieu. Puis petit à petit, le film va être envahi par les éléments surnaturels. On commence par d’infimes taches de goudron qui recouvrent certains bâtiments puis au fur et à mesure alors que les deux personnages prennent conscience l’un de l’autre, le fantastique va contaminer le long-métrage jusqu’à un final vertigineux où le cadre du film (d’où le titre anglais The Frame ) devient un moteur de la narration.

Jamin Winans a conscience que les sentiments humains sont les meilleurs vecteurs pour porter ses interrogations métaphysiques et les partager avec le spectateur. Si les héros du film ressemblent tout d’abord à des personnages stéréotypés typiques des fictions télévisuelles, ils gagnent de l'ampleur à l’écran au fur et à mesure de l’avancée du récit. Le réalisateur arrive même à les rendre vivants à mesure que les protagonistes du film ressentent des émotions aussi fortes que l’amour, la peur ou le désespoir..

On pourrait reprocher au film certaines longueurs (2 heures et 7 minutes). De même, certaines pistes narratives ne sont pas forcements exploitées. Je pense particulièrement aux scènes avec le psychiatre ou à ce dialogue avec l’étrange individu qui revendique être le diable. Mais franchement, on se moque de ses imperfections car The Frame est un grand film vous hantera longtemps après sa vision.

Si Ink laissait envisager chez son réalisateur certaines prédispositions techniques et un univers personnel, The Frame vient tout simplement confirmer que Jamin Winans est devenu un grand cinéaste !

Mad Will

Le film sur Outbuster : https://www.outbuster.com/j-me-la-pete/The-frame