J'utiliserai le titre original du film pour cette critique, Electric Dreams, que je préfère nettement au titre français, La Belle et l'Ordinateur.

Electric Dreams est signé par Steve Barron qui a réalisé les premières aventures des Tortues Ninja au cinéma en 1990. Ce réalisateur est surtout connu pour avoir été l'un des meilleurs clippeurs des années 80 avec des vidéos musicales telles que Billy Jean de Michael Jackson ou le Take on me de A-ha qui mixait animation et prises de vue live. Barron collabora avec Jim Henson sur la série Monstres et merveilles (voir mon article sur la série) qui appréciait énormément son savoir-faire technique. Sa première réalisation pour le cinéma, Electric Dreams, est produite par le milliardaire Richard Branson et sa firme Virgin. La bande originale du long-métrage est supervisée par le pape du disco Giorgio Moroder et aura beaucoup plus de succès que le film grâce la participation de nombreux musiciens cultes des années 80 tels que Culture Club ou Heaven 17.

L’échec commercial du long-métrage mettra fin aux rêves cinématographiques de Branson et ne facilitera pas la distribution du film sur les supports VHS ou DVD. En effet, Electric Dreams passera d'un catalogue de studio à un autre sans jamais être mis en valeur. Une destinée assez terrible pour un film qui enchanta la plupart de ses spectateurs. Soyons francs, si vous détestez les années 80, passez votre chemin. Néamoins, ce serait dommage tant Electric Dreams est une oeuvre touchante et vivifiante. Porté par un duo d’interprètes absolument charmant, ce film reste un classique de la comédie romantique et une réflexion plutôt maline sur l’intelligence artificielle.

À l’instar de Wargames, Electric Dreams appartient à cette vague de films qui essayaient de rendre compte de l’arrivée de l’informatique dans les foyers américains. Afin d’introduire un public néophyte à un Nouveau Monde numérique, les auteurs ont l’idée plutôt maligne d’immerger le spectateur dans l’univers de la micro-informatique par le biais du personnage de Miles Harding, un inculte dans le domaine qui doit se mettre à utiliser un ordinateur en raison de son boulot d’architecte. Le film annonce la domotique à venir avec son ordinateur nommé Edgar et qui n’est ni plus ni moins que l’Alexa d’Amazon ou le Google Home de maintenant.

Il suffira donc d’un peu de champagne renversé sur Edgar l'ordinateur, et un court-circuit, pour que celui-ci adopte une conscience et devienne une version 2.0 de Cyrano de Bergerac. Dans cet Electric Dreams, la musique va remplacer les mots poétiques d’antan. Un étrange trio amoureux se formera à l’instant où Edgar se mettra à rejouer un morceau de Bach avec la jeune voisine de Miles par cloison interposée. À l’instar de la Roxane du classique d'Edmond Rostand, la jeune femme tombera amoureuse d’un homme, convaincue qu’il est à l’origine des créations artistiques qui ont troublé son âme. Mais comme Cyrano, l’ordinateur taira ses sentiments naissants et tirera un trait sur la paternité artistique de ses oeuvres afin de laisser Miles et Madeline vivrent leur amour pleinement. À ce titre, le prénom de Madeline portée par Virginia Madsen n’est pas donné au hasard, puisque le vrai prénom de Roxane dans Cyrano de Bergerac est Magdelaine Robin.

A kind of magic… Cette chanson du groupe Queen extraite de la BO de Highlander résume parfaitement la réussite d’Electric Dreams où Steve Barron réussit une alchimie presque parfaite entre la musique, le jeu des acteurs, et sa mise en scène proche du clip. Le film est en effet porté par les expérimentations plastiques d'un réalisateur qui propose des mouvements d'appareil virtuoses à la manière du David Fincher de Panic Room. De plus, cette esthétique proche du vidéoclip renforce la narration du film en nous donnant des éléments de caractérisation ou un discours sur la technologie via des séquences musicales qui ne sont jamais gratuites. On se souvient ainsi de la très belle scène où la machine acquiert réellement une conscience et se met alors à rêver tandis que résonne The Dream de Culture Club, ou encore de ce final où le réalisateur nous montre le monde connecté de demain alors que Together in Electric Dreams de Philip Oakey & Giorgio Moroder parvient à nos oreilles.

Electric Dreams est symptomatique d’un cinéma de divertissement des années 80 où les artistes faisaient preuve d’une réelle candeur. Grâce à son absence totale de cynisme et sa croyance infinie dans le médium cinématographique, Barron arrive à nous émouvoir avec un micro-ordinateur des années 80 qui était quand même la quintessence de l’objet industriel sans âme. Un exploit assez semblable à celui d’un Spielberg, qui avait réussi à donner vie à E.T. alors que la créature est totalement ratée du point de vue technique.

Steve Barron signe une comédie romantique vraiment touchante grâce à son duo vedette composé de Virginia Madsen et Lenny Von Dohlen. L’actrice s’avère excellente dans le rôle d'une violoncelliste passionnée tandis que Lenny incarne un Cary Grant 2.0 réellement charmant. L’échec du film en salles freinera néanmoins leur carrière même si Candyman pour Madsen ou Twin Peaks pour Lenny témoignent de leur talent.  Enfin, c’est Bud Cort qui donne sa voix à l’ordinateur, un excellent comédien ayant œuvré dans le cinéma d’auteur américain (M.A.S.H., Harold et Maude) et promis à un bel avenir jusqu’à un terrible accident de voiture qui le laissera défiguré.

Electric Dreams est tout simplement une belle histoire d’amour à découvrir ou redécouvrir !

Mad Will

PS : Pas vraiment d'édition en DVD ou Blu-ray que l’on pourrait taxer d’officielle (il existe un DVD italien sur Amazon...). Un manque de reconnaissance flagrant pour un film qui mériterait vraiment une édition de qualité qui rendrait hommage à la réalisation enlevée de Steve Barron.

 En bonus, le clip de Together in Electric Dreams de Philip Oakey & Giorgio Moroder où l’on retrouve des images du film.