The Visit c’est l’histoire d’un retour, celui d’un réalisateur adoubé par un système hollywoodien qui lui donnera les pleins pouvoirs avant de le rejeter, le considérant comme un simple effet de mode.  C'est l'histoire d'un Hollywood qui n'a cessé de rappeler aux artistes qui le peuplaient que le système est plus important que ses créateurs. Le début de carrière de M. Night Shyamalan  dans le cadre du cinéma intimiste est difficile. Mais le réalisateur va devenir le nouveau maître d'Hollywood avec son premier film de genre :  son thriller fantastique Le 6 ème sens. La rapide ascension du réalisateur et ses revendications d’auteur vont agacer rapidement de nombreux cadres de la machine à rêver même si ses films suivants Incassable ou Le Village sont d’excellentes opérations au box-office. Ainsi le script de son nouveau film La jeune fille de l’eau est refusé par Disney qui préfère à présent produire des réalisateurs plus malléables. Shyamalan passe alors chez Warner pour produire ce conte fantastique qui lui tient  à coeur. L’échec au box-office du film est l’occasion pour ses détracteurs de le présenter comme une diva dont les trucs de scénarios sont devenus ringards. Son film suivant Phénomènes est également un échec au regard de ses succès passés. C’est la première fois où le réalisateur a dû faire de nombreuses concessions et le résultat n’est guère brillant. Le cinéaste en perte de vitesse enchaîne alors les films de commande qui ne correspondent pas forcément à son univers. On retrouve ainsi son nom associé au dispensable Avatar Le Dernier Maître de l'air et le calamiteux After Earth, film porte-drapeau pour Will Smith qui en profite pour lancer la carrière de son fils, l'un des plus mauvais acteurs de sa génération, dans un film à la gloire de la scientologie. Pour ses fans ou la critique, Shyamalan est définitivement un cinéaste fini, errant dans le purgatoire des réalisateurs annoncés comme les nouveaux maîtres d’Hollywood et dont on a perdu la trace, comme un certain Richard Kelly célébré en son temps pour Donny Darko.

Shyamalan perdu définitivement ? C’est à ce moment de notre histoire qu’arrive la star des producteurs à petits budgets : Jason Blum. Cet ancien employé de Miramax a fait du cinéma d’horreur son fonds de commerce, mais d’une manière totalement opposée à ses anciens patrons Les Weinstein qui agissaient comme des dictateurs. En effet, Blum laisse une grande liberté aux réalisateurs (dont le fameux Final Cut) qui doivent cependant faire avec un budget réduit de moins de 3 millions de dollars pour limiter les risques. Lancé par le succès de Paranormal Activity, le producteur est devenu un poids lourd de la série B avec Get Out, Sinister et Insidious qui relança la carrière de James Wan. Plutôt malin, Blum se met alors à échanger avec Shyamalan pour le pousser à réaliser un nouveau film. Homme d’affaires avisé, il veut s’appuyer sur la renommée d’un réalisateur qui était encore il y a quelques années le chouchou des studios. Le projet The Visit est né. Jason Blum en bon camelot, distribue le film grâce à ses bonnes relations avec les majors et s’occupe de la communication d'un long-métrage qui sera produit par Shyamalan lui-même qui investit la totalité de son salaire perçu sur After Earth, soit une somme de 5 millions de dollars.

The Visit remboursera largement son budget, et relance la carrière de Shyamalan qui avec Split et Glass confirmera qu’il n’était pas qu’une étoile filante sur Hollywood Boulevard, mais un cinéaste talentueux sur lequel le cinéphile peut compter.

Mais au fait que raconte le film ?

Rebecca et Tyler ne sont pas pressés de passer quelques jours à la campagne, dans la maison de leurs grands-parents. Mais les retrouvailles sont chaleureuses, et même si le grand-père est strict à propos du couvre-feu, les adolescents s'apprêtent à passer un bon séjour. Une nuit, Tyler entend du bruit et surprend sa grand-mère qui se comporte étrangement. Son grand-père l'inquiète également : il monte sur le toit de la grange, sans raison, et joue dangereusement avec son fusil. Les enfants commencent à prendre peur et préviennent leur mère, qui ne les écoute pas. Or, des événements du même genre s'enchaînent...

Me voilà lancé dans le difficile exercice de la critique d’un film de Shyamalan et je dois bien évidemment ne pas vous révéler la fin. Sacrée mission quand on sait que la conclusion interroge notre propre perception et nous pose la question des apparences à travers l’utilisation du found-footage par Shyamalan. Le found foutage est un genre cinématographique dont le principe consiste en ce que le film que découvrent les spectateurs serait composé à partir d’images qui auraient été filmées par ses protagonistes. Si on a beaucoup parlé de ce procédé avec Le Projet Blair Witch qui en serait le mètre étalon dans les années 90, ce type de faux documentaire est loin d’être nouveau dans le domaine de l’horreur. Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato utilisait déjà ce même procédé. Pour un producteur comme Blum, le grand intérêt d’employer ce système a été la possibilité de bénéfices records au regard des budgets de tournages anémiques. Malheureusement la plupart des films en found foutage nous proposent une forme inexistante de cinéma, obnubilée par la volonté de faire sursauter le spectateur en masquant le plus souvent l'absence de technique de ses auteurs. Shyamalan va donc s’approprier ce dispositif pour s’interroger sur la notion de point de vue à travers le regard du cadreur qui tient la caméra et son rapport à l’objet qu’il filme. Pour ce faire, il va utiliser comme narrateur une jeune fille passionnée par le cinéma  qui veut tourner un documentaire sur ses grands-parents. On apprend également assez vite qu’elle poursuit un autre objectif. Elle souhaite en effet réconcilier sa mère avec ses parents et découvrir les raisons de leur discorde. Ainsi grâce à cette jeune femme qui a des vélites artistiques, The Visit nous donne à voir des plans cadrés et visuellement intéressants avec un montage moins épileptique qu’à l’accoutumée. Le found footage use habituellement d’une esthétique proche de la téléréalité où les images doivent donner l’idée d’avoir été volées même si elles sont illisibles, afin de faire croire à la véracité des évènements. Dans The Visit,  la caméra n’est presque jamais dissimulée. Elle est au centre de l’action, sa présence est connue de tous, et elle change le comportement des personnages qui l’entourent, car ils se mettent à jouer un autre rôle pour cacher leur vraie nature. Elle devient même au fur et à mesure du film un enjeu de pouvoir quand certains protagonistes essaient d‘en prendre possession et de tourner leur propre fiction qui témoignerait de leur vision « biaisée » du monde. Le final du film viendra confirmer que The Visit est avant tout une fiction, qui évoque la notion de point de vue qui ne peut éludé dans le cadre du documentaire. Shyamalan signe donc ici le found footage le plus introspectif de l’histoire du cinéma !  

Dans son excellent essai Anatomie de l’horreur, King montrait comment les plus grandes œuvres du cinéma d’épouvante s’inspiraient du contexte social de leur époque. Ainsi un film comme Le village des damnés ou l’Invasion des profanateurs évoquaient la peur du communisme. Quant à l’Exorcisme, il décrivait parfaitement une société chaotique qui prenait peur par rapport à la libération des mœurs, voyant dans la possession la métaphore d’une société décadente à venir. The Visit pour sa part s’inspire de nos angoisses face au troisième âge. Le film construit ainsi son suspens autour de nos a priori sur la conduite parfois étrange de nos aînés.

Shyamalan a habilement adopté une forme pouvant plaire au jeune public féru des films Blumhouse tout en la raccrochant aux grands classiques du cinéma. À l’instar d’un Hitchock,  il fait partie de ce cercle restreint des grands maîtres capables de s’adapter aux goûts du moment sans jamais se renier. Ainsi, par le truchement du chignon de la grand-mère qui renvoie à La nuit du chasseur ou le prénom Rebecca de notre héroïne, il place son film dans la tradition du conte macabre au cinéma.

Mais au-delà de sa virtuosité narrative, de sa connaissance encyclopédique du cinéma, ce qui marque chez Shyamalan, c’est le profond humanisme de son auteur. À l’instar de Glass où un Elijah agonisant ne cesse de répéter «Je ne suis pas une anomalie », on se souvient de moments de grande humanité dans The Visit, que ce soit le regard de la jeune fille à la caméra quand elle évoque le divorce de ses parents, ou l’attitude de Quarterback de son petit frère dans le final. À ce titre, le réalisateur est toujours un excellent directeur d’acteur. En effet, les deux acteurs adolescents du film sont très justes et touchants et participent pour beaucoup dans la réussite du film. À leur côté, les interprètes des grands-parents sont absolument formidables et s’avèrent terriblement inquiétants à l’écran.

En traitant par le biais de l’horreur notre peur de vieillir, Shyamalan signe tout simplement le plus terrifiant thriller de ces dernières années.

Mad Will

PS : Vous aurez noté que je n’ai jamais révélé l’intrigue et que j'ai réussi ma mission. Cela aurait été quand même dommage que vous découvriez que ...