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Dans votre rubrique préférée «Dans l’antre du Bis», je vous propose aujourd’hui de revenir sur un film culte de science-fiction des années 60 produit par le nabab Dino De Laurentiis et mis en scène par Roger Vadim. Je parle bien sûr du cultissime Barbarella adapté de la bande dessinée de Jean-Claude Forest qui en 1962 avait révolutionné le petit monde du 9 ème art avec la première bande dessinée pour adulte. Plutôt que de traiter tout de suite l’œuvre cinématographique,  je vous propose d’aborder un tant soit peu l’univers en cases et phylactères de Forest pour ensuite s’atteler à son adaptation cinématographique par le réalisateur de Et Dieu… créa la femme.

La bande dessinée Barbarella

Forest est un dessinateur dont l’œuvre est difficile d’approche. En effet, l’auteur, caractérisé par son goût pour la liberté, a toujours refusé de se laisser emprisonner par ses personnages les plus célèbres. Barbarella ne compte ainsi que 4 volumes et sa publication fut étalée sur presque 20 ans alors que son héroïne dans les sixties fut célébrée dans le Qui est in, qui est out de Serge Gainsbourg et visible dans des pubs Perrier. Pour apréhender l’impact de Barbarella, il faut comprendre que sur son seul nom, Laurentiis a conçu un projet de film science-fiction parmi les plus ambitieux d’Europe avec un budget jamais vu pour un genre souvent limité au fond de tiroir des producteurs européens comme peut en témoigner Mario bava avec son passionnant La Planète des vampires.

Barbarella est un monument de la bande dessinée qui a marqué l’avènement de la contre-culture dans la France gaullienne. Pour la première fois, le 9 ème art n’était plus réservé au public enfantin auquel on l’avait limité. Pour autant, Barbarella semble bien prude au lecteur de 2019. En effet, les formes généreuses de notre aventurière de l’espace ne sont que très rarement montrées. Il est évident que c’est plutôt l’affirmation de la sexualité de son héroïne qui a bouleversé la France patriarcale de l’époque. Car Barberalla n’est pas au service du plaisir des hommes, mais bien du sien.

De même, le titre de Forest, en s’inspirant de comics tels que Flash Gordon, est une révolution dans le monde encore conservateur de la BD d’alors. En effet, l’auteur propose une science-fiction proche de la fantasy où l’argument scientifique est évacué au profit de l’imagination débordante de son auteur. Son approche est ici originale par rapport à ses aînés de la Franco-belge comme Hergé qui essayaient de crédibiliser les évènements avec des arguments plus ou moins scientifiques lorsqu’ils flirtaient avec la SF. Forest avec Barberella est véritablement quelqu’un qui a su créer une œuvre qui témoigne des bouleversements d’une époque où l'on prend conscience de la révolution culturelle qui se passe aux USA.

On a trop souvent résumé Barbarella à l’évènement de la BD érotique alors que cette oeuvre n’appartient pas vraiment au genre. En effet, Barbarella n’a jamais eu pour fonction d’exciter le lecteur comme chez Manara où la construction dramatique est pensée pour amener à la prochaine scène de sexe. Non, Barbarella est une oeuvre de pure imagination, sensuelle, mais jamais érotique. La populaire héroïne de l’espace dont le physique avait été inspiré par Brigitte Bardot occultera malheureusement le reste de son œuvre. Ainsi, au détour d’une boutique d’occasion ou lors d’une visite dans votre médiathèque préférée, je vous invite à lire les aventures de la jeune Hypocrite qui démontrent la fantaisie et le talent onirique de son auteur. Si vous souhaitez continuer à découvrir Forest, il existe une magnifique édition chez l’Atelier de sa BD jeunesse Mystérieuse matin, midi et soir. Enfin comment ne pas évoquer les 4 premiers volets des Naufragés du temps qu’il signe avec Gillon.

Que penser de l'adaptation de Roger Vadim de Barbarella auquel Forest participa en qualité de conseiller ? Le réalisateur français a-t-il réussi à donner vie à l’univers fantasmagorique de Forest ? Avant de répondre à cette question, voici un court résumé de l’intrigue :

En l'an 40 000. Sur ordre du président de la Terre, la jeune Barbarella doit retarder ses vacances sur Vénus pour tenter de retrouver et d'arrêter le redoutable professeur Durand-Durand, qui vient de mettre au point une arme effroyable : le rayon positronique, aussi appelé «polyrayon 4», qui met en danger l'équilibre de l'amour universel. Un atterrissage forcé sur Lytheion vaut à Barbarella d'être capturée par deux gamines qui la livrent à des poupées-robots. La jeune femme est sauvée par l'intervention de Mark Hand. Elle apprend en outre que Durand-Durand se trouve sur la planète Sogo, sur laquelle son appareil s'écrase. La malheureuse tombe entre les griffes de la féroce Reine noire..

Le Barbarella de Vadim compte dans ses rangs de très grands techniciens du cinéma. Ainsi, on retrouve Mario Garbuglia qui signa les décors des films de Mario Monicelli ou de Visconti. Au scénario, on reconnaît parmi les nombreux crédits, celui de Terry Southern qui rédigea les scripts du Docteur Folamour de Stanley Kubrick ou Easy Rider de Dennis Hopper. Quant à la photographie, elle est l’œuvre de Claude Renoir qui a façonné les images de La Bête humaine ou de plusieurs James Bond. Concernant les costumes du film, ils sont l'oeuvre de Jacques Fonteray connu pour son travail de costumier sur Borsalino, La Folie des grandeurs ou Moowalker. À noter la présence de Paco Rabanne qui a conçu certaines robes de Jane Fonda.

Ce projet étant mené par le producteur de la Strada avec la fine fleur des techniciens européens, ce Barbarella semblait naître sous les meilleurs auspices même si le choix du réalisateur pouvait surprendre. En effet, Roger Vadim est plus connu pour ses aventures galantes que pour ses réalisations.  Il n’est pas un grand technicien et son film le plus reconnu de sa carrière « Et Dieu… créa la femme » est surtout resté célèbre pour son actrice Brigitte Bardot et non pour ses qualités cinématographiques. Sa venue sur un film au budget si important avec des effets spéciaux à gérer peut sembler étrange de la part de Laurentiis. Mais Vadim vivait à l’époque avec Jane Fonda. Producteur avisé, mais aussi intéressé, il pouvait ainsi compter sur la présence d’une magnifique actrice américaine dont le patronyme facilitait sans doute la vente du film aux USA.

Cependant nos craintes disparaissent (du moins temporairement) sur les limites techniques de Vadim quand nous assistons à l’effeuillage de Jane Fonda en apesanteur en ouverture du film. Le découpage est de toute beauté, la séquence est véritablement sensuelle sans avoir le moindre recours à la vulgarité. De plus, nous sommes bien dans l’esprit des bandes dessinées de Forest avec un personnage qui se déshabille non pour un personnage masculin, mais pour elle-même.

Malheureusement, le reste du long métrage ne sera jamais au niveau de cette ouverture en matière de mise en scène. En effet, même si j’apprécie beaucoup le film, sa réalisation n’est véritablement pas son point fort. Découpage sans aucune dynamique, multiplication de plans d’ensemble terriblement statiques, décors superbes mais jamais exploités, Vadim n’est définitivement pas au niveau de son équipe. À ce titre, il suffit de se concentrer sur les arrière-plans du film pour noter que certains acteurs ou figurants ne sont pas du tout dirigés et regardent littéralement la caméra en se marrant. De la même manière, son manque de rigueur est visible avec des plans qui n’auraient pas dû être gardés où Jane Fonda (qui selon ses dires était pompette sur le film) glisse et menace de tomber.

Pourquoi dans Barbarella, une telle différence entre l’ouverture du film et le reste du long-métrage ? La réponse est simple quand on fait des recherches sur le tournage. Cette introduction a été en partie pensée et surtout découpée par le conseiller spécial du film qui n’est autre que Forest lui-même. Il est évident que Barbarella est un objet fascinant à regarder grâce à son équipe et l’univers de Forest. Mais Vadim ne semble pas véritablement comprendre la force de la bande dessinée qu’il adapte. En effet, sa mise en scène n’exploite jamais le concept de case ou le découpage toute en mouvement de Forest . On peut également lui reprocher que sa relation avec Jane Fonda et ses actrices en général, a altéré le message de la BD originale en rendant notre jeune héroïne plus dépendante de la gent masculine.

Cinéaste plutôt misogyne, il va faire de Barberrella un personnage qui ne semble jamais prendre part à l’action. On comprend ainsi pourquoi il recommanda à son actrice principale de s’alcooliser durant le tournage pour jouer le personnage. Si Fonda a le charisme et le physique pour incarner Barberella, on a l’impression qu’elle ne fait que subir les évènements dans la scène des perruches ou dans la première partie du film avec les enfants tueurs. Vadim a transformé Barbarella en une ingénue de la littérature érotique. Ainsi, dans le film, il faudra l’intervention d’un chasseur un tant soit peu viril pour que les plaisirs de la chair lui soient dévoilés. Il contredit ici totalement la bande dessinée où notre héroïne agissait et se jouait du chasseur. Il suffit de relire les propos de Forest pour comprendre les errements de Vadim :  « Barbarella est une fille libre, sauvage, indépendante. Ce n'est pas une suffragette pour autant, ni un gendarme. Elle reste très féminine et a le privilège de pouvoir se contredire à l'occasion. Ce n'est pas une vamp, mais une antivamp. D'ailleurs, je déteste les pin-up. Pour moi, Barbarella est un type de femme qui a toujours existé. Contrairement à ce que l'on raconte, elle n'est absolument pas scandaleuse » (Jean-Claude Forest, extrait d'un entretien donné en 1968, cité par Guy Vidal dans sa préface au premier tome de l'édition intégrale de Barbarella, Les Humanoïdes associés, 1994). La relecture machiste du réalisateur français nous montre un artiste qui était au final assez emblématique des mentalités rétrogrades de son époque malgré le parfum de scandale qui entoura ses premières œuvres. De ce fait, il va limiter Barbarella à l’hétérosexualité, là où Forest n’hésitait pas à lui faire vivre des aventures avec des robots, d’autres femmes ou des créatures plus fantaisistes les unes que les autres.

Pour autant, cette variation cinématographique de Barbarella possède de nombreuses qualités. Tout d’abord, son humour avec des dialogues assez bien écrits où notre héroïne fait preuve d’une certaine ironie. Le film n’hésite pas non plus à ridiculiser la gent masculine avec des personnages prétentieux et gaffeurs qui sont  incapables de faire quelque chose de constructif. Enfin la séquence de la machine à plaisir montre une femme libérée de l’obéissance au plaisir des hommes et atténue la vision machiste de Vadim.

Si Barbarella est devenue une œuvre culte, c’est grâce aux trouvailles visuelles de ses collaborateurs comme ce crépusculaire labyrinthe de Sogo ou sa magnifique photographie que l’écrin du Blu-ray sublime. C’est également  un film qui regorge de trouvailles comme ces deux jumelles maléfiques ou ce magma de la ville de Sogo qui viennent de l’esprit de Jean-Claude Forest. Alors Barbarella, un grand film ? Non. Pour autant, ce long-métrage est une oeuvre qu’on n’arrête pas de regarder malgré ses défauts. Peut-être parce que le film est sorti en 1968 et qu’il était le reflet d’une époque où l’on mettait fin au conservatisme, où la société évoluait, où tout était encore possible ?

Mad Will