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Je vous propose aujourd’hui de revenir sur un classique du cinéma d’animation, une œuvre à la réussite éclatante qui n’a rien à envier aux plus grands classiques de Walt Disney et qui est réalisée par un homme qui manque actuellement beaucoup au monde du dessin animé : Monsieur Don Bluth.

Revenons quelques instants sur le parcours de cette figure du cinéma d’animation qui disputa à Walt Disney sa place de numéro un dans le monde du dessin animé avec des titres tels que Fievel et le Nouveau Monde ou Le Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles. Fils de mormon, Don Bluth ne se retrouvait pas dans l’animation adulte des sixties avec l’avènement d’un réalisateur tel que Raph Bakshi et son Fritz The Cat. Pour le passionné de dessin animé qu’il était, le secteur était devenu obsédé par les dollars et méprisait l'artistique. En effet, durant ses années chez Disney en tant qu’animateur, il avait pu observer que le studio avait pris la sale habitude de reprendre des séquences entières de ses classiques pour baisser les coûts sur ses nouvelles productions. On récupérait donc les calques originaux et on redessinait par-dessus, de façon à conserver l’animation tout en changeant les personnages. Mais avant de voler de ses propres ailes et de signer Brisby, il travailla essentiellement chez Disney même s’il passa quelques années chez Filmation où l’on faisait du cartoon au kilomètre. Cette dernière expérience renforça son dégoût pour des producteurs qui se moquaient des enfants et voulaient seulement faire de l’argent. Chez Disney, il grimpa les échelons devenant ainsi chef de l’animation sur Peter et le dragon. Néanmoins, il avait des envies d’ailleurs. Il était déçu par une firme qui se reposait sur ses acquis.

Cette expérience chez Disney lui permit de rencontrer Gary Goldman et John Pomeroy qui créeront avec lui quelques années plus tard la société Don Bluth Productions. Les trois amis, qui auront longtemps cherché un patronyme pour leur société, finiront par opter pour  le nom et le prénom de son âme créatrice à la manière de Walt Disney en son temps. Il espérait que ce patronyme deviendrait synonyme de qualité dans l’inconscient du spectateur. Dès 1973, Don, Gary, et John vont dépenser une grande partie de leur salaire pour acheter les outils et les équipements nécessaires afin de produire leur propre film d'animation. L'équipe se réunit alors en dehors de ses heures de travail dans le garage de Don. Il leur faudra 5 ans pour produire Banjo, le chat malicieux. Le film reçoit alors de nombreux prix et attire les investisseurs. À la suite de ce succès les trois compères quittent Disney où l’administration fait la sourde oreille à leurs inspirations créatrices et fondent leur société. Ils se lancent alors dans l’adaptation d’un classique de la littérature anglo-saxonne pour enfants, Mrs. Frisby and the Rats of NIMH de Robert C. O'Brien. Cet auteur peu connu en France a remporté un grand succès aux USA avec ses romans. Ses histoires sont profondes, bien racontées, et proposent des univers anthropomorphiques qui ne sont pas sans rappeler les chefs-d’œuvre en bande dessinée écrits par Raymond Macherot comme Chlorophylle ou Sybelline. D’ailleurs, pour continuer dans la digression, je vous invite à lire le « Orson Wellsien » (ah cette mise en abyme du 9e art), Chaminou et le khrompire de Macherot (toujours) chez Dupuis. Cet ouvrage est un manifeste de la richesse narrative du 9e art. Sans vouloir polémiquer, il est clair que Chaminou traînait sur la table à café des créateurs de Zootopia, tant les similitudes sont étonnantes.

Mais que raconte Brisby et le Secret de Nimh ?

La souris Brisby a élu domicile avec ses petits dans le champ du fermier Fitzgibbons. Depuis la mort de son mari, Jonathan, la maman souris tente, non sans mal, de surmonter les difficultés de la vie. Lorsque Fitzgibbons décide de labourer son champ, c'est la panique. L'habitation des rongeurs est menacée. Le petit Timothée, atteint d'une pneumonie, contraint la famille à rester. Brisby tente par tous les moyens d'empêcher le désastre. Désespérée, elle va demander assistance à une bande de rats, rescapés d'un laboratoire et rendus intelligents à la suite d'une expérience secrète tentée sur eux...

Quand il crée Brisby, Bluth veut avant tout créer une concurrence saine à la célèbre firme afin de lui permettre de se réveiller et de retrouver son aura passé. Avec son premier film, il espère un succès qui remettra au goût du jour l’animation traditionnelle qu’il a tant aimée enfant. Malheureusement, malgré sa réalisation magnifique, Brisby n’est pas un carton au box-office en raison des difficultés financières de son distributeur United Artists qui ne se remet pas du bide des Portes du paradis de Cimino. Don et ses acolytes doivent fermer leur société. Mais Spielberg a vu Brisby et joue beaucoup au jeu Dragon's Lair créé par Bluth, il se propose alors de produire Fievel et le Nouveau Monde qui sera le plus gros succès de la carrière de Don Bluth.

Don Bluth est un mormon dont la foi a joué un grand rôle dans sa vie. Avant de démissionner à la fin des années 70 de chez Disney. Il avait travaillé une première fois pour la firme. Déjà repéré pour son talent d’animateur hors pair, il avait dû néanmoins quitter la société pour accomplir une mission évangélique. Je vous rassure tout de même ! Aucune de ses oeuvres ne fait de prosélytisme. Mais on sent néanmoins dans ses films, une grande importance apportée à l’éthique. Ainsi Brisby et le secret de Nimh milite pour une solidarité entre les êtres pour survivre. Ce dessin animé montre également comment la famille et la maternité peuvent sublimer chacun d’entre nous et nous faire réussir l’impossible comme la petite souris héroïne du film. D’un point de vue moral, les oeuvres de Bluth, à la différence de celles de Walt Disney, n’édulcorent jamais les évènements et présentent aux enfants un monde plutôt dur pour les préparer à affronter la vie. Des personnages sont tués, des êtres vils sont prêts à toutes les fourberies. Don Bluth est à ce titre le cinéaste presque existentialiste. Pour lui, chaque homme choisit de faire consciemment le mal ou le bien comme le sbire du méchant du film qui décide d’assassiner son acolyte d’un coup de couteau dans le dos pour arrêter les tueries. Certains jeunes spectateurs de l’époque ont été très marqués par la scène d’évasion plutôt glauque des rats du laboratoire de NIMH (institut qui existe vraiment aux USA et s’apelle The National Institute of Mental Health). Si Bluth intègre cette scène difficile, c’est pour défendre la cause animale et éveiller l’esprit de ses jeunes spectateurs. En tant que croyant, il considère tous les êtres vivants comme les créations de Dieu et ne peut accepter toutes formes de torture au nom de la science. J’imagine aussi que le fait d’avoir dessiné des créatures anthropomorphiques toute sa vie a influencé sa vision du monde animale.

Brisby est également influencé par ses études en littérature britannique. En effet, le film reprend l'imagerie de la littérature anglaise gothique que ce soit ce hibou tout droit sorti d’un film de la Hammer ou ce royaume des rats digne d’un roman des soeurs Brontë. Brisby et le secret de Nimh est un film qui joue en permanence de la lumière et les ténèbres. La lumière dans le film vient de cette mère aimante qui plonge avec sa cape rouge dans le royaume souterrain des rats pour sauver son fils. C’est également ces images d’une nature bucolique absolument magnifiques. Quant aux ténèbres, ils sont caractérisés par la bestialité de certains personnages comme l’immonde chat de la maison prêt à se jeter sur sa proie, ou cette scène terrifiante où Brisby doit s’échapper d’une cage et s’entaille le bras.

Bluth débauchera pour la réalisation du film pas moins de 13 artistes de chez Walt Disney, provoquant des problèmes de production sur Rox et Rouky. Grâce à cette équipe, le résultat à l’écran est tout simplement stupéfiant malgré un budget bien moins important que les productions de l’oncle Walt. Jeu habile des couleurs, soin monomaniaque apporté aux objets, des décors riches et dignes des toiles de grands maîtres. Et surtout, le film démontre le don unique qu’à Bluth pour imprégner du mouvement et donner littéralement vie à ses personnages à l’écran. Cette animation fluide, il la mettra au service de la retranscription des émotions de ces créatures dans ses meilleurs films.  Bluth arrive définitivement grâce à l’animation traditionnelle à donner ce supplément d’âme à ses créatures animées.

Pour conclure, Brisby et le Secret de Nimh est un joyau sur lequel le temps ne peut agir. Bluth voulait proposer des oeuvres dans la lignée des classiques du studio Disney. Il a réussi son pari. Son premier long-métrage est tout simplement un chef-d’oeuvre dans la lignée des plus grands films de Miyazaki ou de Walt Disney de son vivant.

Mad Will