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Cet article est dédié à Dick Miller dont nous venons d'apprendre la mort ce matin. L'acteur est apparu dans de nombreux films de Dante dont les deux volets des Gremlins. C'est une figure familière de la série B et de notre jeunesse, qui vient malheureusement de nous quitter.

Je vous propose de revenir en 1984 et d’aller à la rencontre d’une petite bande de créatures hirsutes qui allaient pour notre plus grand plaisir envahir les écrans et influencer bon nombre de suiveurs à la tête de productions désargentées telles que les Goulies, les Critters et les immondes Trolls du stakhanoviste Claudio Fragasso. Le premier volet des Gremlins est essentiel pour son réalisateur Joe Dante qui signe ici le seul réel succès de sa carrière en termes d’entrées et pour son producteur Spielberg qui peut définitivement lancer sa société Amblin grâce au carton du film. Joe Dante est un transfuge des productions Corman qui s’est fait connaître aux yeux de Spielberg par son Piranhas qui était une relecture des Dents de la mer. Plutôt que d’attaquer Dante pour plagiat comme le souhaite Universal, Spielberg va rapatrier ce talent au sein de sa propre écurie. Enfin, ce premier Gremlins  est la jonction parfaite entre les premières productions du papa d’ E.T. orientées jeunes adultes comme Poltergeist et ses projets ultérieurs pour Amblin pensés pour être vus par toute la famille. En effet, Les Gremlins se jouent à la fois des codes du cinéma d’horreur et du divertissement familial.

Mais que raconte les Gremlins (pour ceux qui ont pas vu le film !) :

Quand il ne passe pas son temps à inventer des gadgets ménagers absurdes, Randall Peltzer pense à son fils, Billy. Pour son anniversaire, il lui achète un curieux animal déniché au marché de Chinatown, un mogwaï. Point trop alarmé par les curieux conseils du vendeur - ne pas mouiller le mogwaï, ne pas l'exposer à la lumière vive et ne pas le nourrir après minuit -, Randall l'offre à son fils, qui exulte. Las ! Mouillée par inadvertance, la bestiole donne naissance à cinq congénères, qu'un repas nocturne change en atroces petits monstres dévastateurs, plus prolifiques que des lapins. Bientôt, la terreur règne dans la petite ville de Kingston Falls...

Gremlins est la quintessence du cinéma de Joe Dante dans sa manière de créer un cinéma référentiel. Ainsi, ce premier volet des aventures de nos chers petits monstres est une remédiation de La vie est belle de Franck Capra où une petite ville américaine était menacée par la cupidité des hommes dont l'abominable M. Potter. La passion cinéphilique du réalisateur est également visible à travers les nombreux extraits de longs-métrages en noir et blanc visibles sur les téléviseurs des protagonistes du film. À l’instar des maîtres de la Nouvelle Vague, Dante est un amoureux du cinéma avant d’être un technicien comme le montre la participation dans tous ses films de l'acteur Dick Miller, qui était un héros de série B des années 60. À noter que le réalisateur est également un fin connaisseur du cinéma européen avec un usage sur le film d'éclairages très stylisés à la manière d’un Mario Bava. Dante ne voulait pas d'une esthétique réaliste pour les Gremlins et privilégia le studio et les couleurs primaires pour rendre crédibles ces marionnettes. Le directeur de la photographie du film, John Hora est un fidèle collaborateur de Dante (Hurlements, Gremlins 2,  Panic sur Florida Beach) qui travailla sur la série  Eerie, Indiana. Un feuilleton dont le titre français est Marshall et Simon et que je vous invite à découvrir. Cette série est un ovni dont Dante a réalisé 5 épisodes et qui est un mélange entre Stranger Things et Twin Peaks.

On a souvent reproché à Spielberg de vampiriser ses productions, c'est même une erreur récurrente de la critique française des années 80 comme nous le rappelle la fameuse critique de Retour vers le futur dans le quotidien Libération. Dans le cas de Dante qui a toujours défendu Spielberg qui lui laissait carte blanche, il est évident que son cinéma est à l’opposé de la représentation des banlieues américaines popularisée par le papa d’E.T. Gremlins est une oeuvre satirique de son époque qui tire à boulets rouges sur le reaganisme et la philosophie du chacun pour soi.  L’America First à venir est ainsi moqué avec ce personnage du conducteur de chasse-neige qui voit dans l’étranger un ennemi prêt à le tuer.

Dante est un cinéaste politique qui signera pour la télévision deux oeuvres pamphlétaires : La Seconde Guerre de Sécession sur HBO et Vote ou crève pour les Masters of horror. Dans les Gremlins, il attaque au marteau piqueur une époque où les films prorépublicains tels que Rambo 2 et surtout Rocky 4 trustaient les écrans.

Les Gremlins c’est un peu  le « Ça » en psychanalyse, c’est la volonté de toujours penser à notre ego au détriment du collectif. C’est le mode de pensées d’un Trump baiseur invétéré, mais incapable d’assumer devant un tribunal. C’est l’histoire en filigrane d’une nation jeune qui a bel et bien placé un gremlins à la Maison Banche. À ce titre, il est amusant de noter que Trump inspirera un personnage du deuxième volet comme nous le montrerons dans la critique de la suite ce vendredi.

Ce n’est pas un hasard si cette charge contre l’individualisme a été réalisée durant la décennie où le système politique promouvait l’homme seul contre le groupe afin de se maintenir au pouvoir.  C’est peut-être pourquoi les Gremlins nous font tant rire, car ces monstres symbolisent notre désir de jouissance et de puissance. Le film se moque ouvertement de ces grands gagnants du Reaganisme (dans le deuxième volet, la charge sera encore plus violente) avec la tête à claques du collaborateur du héros aussi grotesque qu’arriviste ou la vieille mégère aussi rapiate et mesquine qu’Oncle Picsou. C’est bel et bien le comportement immature et autocentré des USA que le vieux marchand chinois, issu d’une civilisation millénaire, critique dans la conclusion en indiquant que nos héros n’ont pas la maturité nécessaire pour posséder un pouvoir pareil.

Gremlins est un formidable divertissement porté par un rythme tonitruant où l’on passe de la sidération par des séquences horrifiques comme celle de l’attaque du sapin, à l’amusement avec les gremlins chantant les chansons de Blanche Neige dans une salle de cinéma. Relecture des films de Noël en mode anarchique, ce long métrage n'a rien perdu de son mordant et de son efficacité grâce au travail impressionnant de l’équipe du film que ce soit Dante à l’image ou Chris Wallas pour les effets spéciaux. Les créatures ont ainsi bien mieux vieilli à l’image que bon nombre de leurs congénères en image de synthèse. Ainsi, on craque toujours autant pour le petit Guizmo qui doit son esthétique au chien de Spielberg. En effet, le producteur avait refusé les différents designs de la créature jusqu’au moment où Chris Wallas se décida d’affubler son personnage d’un pelage identique au King Charles de Spielberg qui s’enthousiasma tout de suite pour cette nouvelle version de la créature.

Gremlins est un film que l’on ne se lasse pas de voir ou revoir et dont certaines scènes cultes resteront à jamais gravées dans notre inconscient comme dans cette séquence où la vieille dame est expulsée de son fauteuil électrique. Le premier script du film signé Columbus était beaucoup plus sombre et horrifique, mais Dante s’est vite rendu compte que le budget nécessaire pour donner vie à ses créatures l’obligeait à concevoir un film dont l’audience ne se limiterait pas aux fans de cinéma d’horreur.  Au final, l’humour caustique, et la facilité qu’à Dante à marier les genres, font que le film a plutôt profité de ses changements de cap devenant une oeuvre proposant différents niveaux de lecture.

Il aura fallu des années pour que la France comprenne le génie de Joe Dante qui a maintenant le droit à la reconnaissance de la cinémathèque. Cette bénédiction de la part des critiques est quand même un peu tardive. En effet, un film tel que Gremlins et plus tard l’Aventure intérieure témoignaient déjà du savoir-faire et de l’intelligence de cette personnalité atypique du cinéma américain. Dante avec sa cinéphilie et son humour acerbe, c’est l’Amérique de Crumb qu’on a aimé et qui a disparu.

Les Gremlins, un film culte ? Assurément ! À voir et revoir sans aucune modération.

Mad Will

PS : Retrouvez demain la critique de Gremlins 2 !