Votre univers très coloré et plein de fantaisie rappelle les films de Wes Anderson. A-t-il été une source d’inspiration pour vous ?

Nous aimons beaucoup Wes Anderson, oui, c’est un grand réalisateur. En tant que troupe, notre medium habituel est le théâtre, et même lorsque nous montons des spectacles de théâtre, nos références sont souvent des films car par certains côtés ils sont ‘‘théâtraux’’. Nous faisons souvent des pièces, et on peut voir du Wes Anderson même dans nos pièces. Parce que c’est le premier film que nous avons réalisé, nous nous sommes beaucoup inspirés des cinéastes et des metteurs en scène… Nous avons eu un grand nombre d’influences : Michel Gondry nous a beaucoup influencé, Spike Jonze également, David Lynch… : de nombreux réalisateurs assez théâtraux.

Dans l'interview qu’on peut lire dans le dossier de presse, vous dites admirer Bruno Bettelheim.

Absolument, nous avons été très influencés par les idées de Bruno Bettelheim sur les contes de fées et ce dont ils parlent selon la psychologie freudienne ou jungienne : la mise en scène à travers une histoire imaginaire des pires peurs pour un enfant ou un adolescent. Les contes sont souvent l’expression de ces peurs très profondes que les jeunes gens peuvent avoir, d’être rejetés par leurs parents, de devenir comme eux, ou que leur mère soit à un certain niveau psychologique une sorcière. Bettelheim parle beaucoup de la façon dont les contes de fée ont été excessivement aseptisés par Disney etc., et que cela dessert beaucoup les enfants parce que ces histoires sont censées lui permettre d’explorer leur part obscure, leurs peurs les plus noires.

 

 

« L’homme gluant » de la forêt réfère-t-il à sa théorie de « l’ animal-fiancé » [selon laquelle la grenouille qui se transforme en prince charmant est le symbole de la transition qui s’opère à l’adolescence d’une sexualité refoulée, considérée comme sale, bestiale, à une sexualité reconnue comme une activité humainement désirable, en rien dégradante] ?

Absolument, c’est le grand enjeu pour Greta : elle entre dans ce monde qui possède une part érotique… Je pense que d’une certaine manière c’est encore mieux exprimé à travers le personnage du chanteur français, qui est aussi le petit-ami de Geneviève, la sœur, dont l’érotisme est très attirant pour elle. Son père sous son apparence d’ « homme gluant » dans la forêt, lui, veut qu’elle reste une enfant. Il représente cette envie qu’elle peut avoir elle-même de rester une enfant, mais comme bien sûr personne ne peut rester enfant éternellement, elle est également tentée par l’idée de grandir et par la vie érotique. Assurément, son père désire stopper son développement car il implique un défi à de nombreux niveaux pour son identité de père moderne.

De nombreuses scènes semblent être des parodies soit de séries de campus soit de blockbusters fantastiques : est-ce volontaire ?

Je pense que le film entier est l’expérimentation de la vision du monde d’une lycéenne, donc d’une certaine manière le personnage central est le seul qui ne soit pas exagéré. Tout le reste reflète la façon dont elle ressent le monde, d’une manière outrée, et pour certains des personnages peut-être jusqu’au point de la parodie, oui, je vois ce que vous voulez dire. Ensuite, dans la phase onirique, une nouvelle étape est franchie puisque tout le monde y est transformé en ce qu’il représente pour son psychisme.

Fantastic Birthday est l’un des rares films qui pourrait passer avec succès un test concernant la parité des personnages masculins et féminins.

Oui, je crois que toute notre équipe artistique a été très forte là-dessus. Nous avons beaucoup travaillé pour que cela fonctionne, moi-même, Matthew Whittet le scénariste, Jonathan Oxlade le directeur de production, mais aussi les acteurs, notamment Amber McMahon qui interprète le rôle de Janet : elle travaille beaucoup son rôle en amont et est très impliquée dans notre travail de recherche collective. D’autre part, nous avons évidemment travaillé avec beaucoup de jeunes acteurs pour raconter cette histoire, ce qui a également été très exaltant. Nous avons discuté… Nous avions beaucoup de matière pour parler du passage à l’âge adulte en général, mais nous avions plus particulièrement envie de raconter l’histoire d’une fille. En effet nous étions intéressés par l’idée qu’il existe deux aspects dans le vécu de l’adolescent : les nouvelles expériences et l’adrénaline d’un côté, et de l’autre un aspect plus latent où vous pouvez rester allongé sur votre lit pendant des heures à être simplement dans votre tête, ce qui si l’on en croit les idées freudiennes correspond davantage au côté féminin, ce qu’explore le conte de La Belle au bois dormant. C’est d’ailleurs pourquoi en Australie le film s’intitule Girl asleep [Jeune fille endormie].

Avez-vous déjà de nouveaux projets cinématographiques ?

Oui ! Vous savez, pour nous tous cela a été le premier film que nous avons réalisé. Nous avons mis en scène de nombreuses pièces de théâtre et nous sommes beaucoup partis en tournée avec ces pièces... Nous avons été très chanceux, c’était comme un rêve de pouvoir faire ce film, c’est une opportunité qui est venue à nous... Les gens avaient beaucoup apprécié nos pièces, leur sensibilité, et je pense que nos pièces empruntaient de nombreuses idées au grand écran parce que notre troupe est très influencée par le grand écran… Dans le monde moderne, l’image est le medium artistique prédominant et cela se reflète beaucoup dans nos pièces. Quand nous avons eu l’opportunité de faire le film, c’était vraiment grisant pour nous, ç’a été une libération : nous pouvions jouer avec de nouveaux outils et de nouvelles façons de raconter une histoire, nous nous sommes beaucoup amusés. Et maintenant que nous l’avons fait une fois, nous avons très envie d’y retourner pour exploiter la multitude de nouvelles idées que nous sommes en train de développer. Nous avons tellement appris en réalisant ce film que nous sommes en mesure de nous dire : « ok, la prochaine fois allons encore plus loin » !

Propos traduits et recueillis par Florine Le Bris.

Pour les plus anglophiles, voici l'interview en Anglais (réalisée sous Skype) :