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Quel plaisir de retrouver le réalisateur du long-métrage Hardware, qui avait disparu de nos écrans suite à son renvoi du tournage de L’ile du docteur Moreau à cause des agissements despotiques des deux stars présentes sur le plateau et connus pour leurs  problèmes d’addiction. Cinéaste atypique né en Afrique du Sud, Richard Stanley est le descendant d’Henry Morton Stanley, célèbre aventurier gallois parti à la recherche de David Livingstone. À l’instar d’Alejandro Jodorowsky , ce réalisateur a été souvent qualifié de mystique en raison de son intérêt depuis son jeune âge pour la sorcellerie que sa mère étudiait en tant qu’anthropologue. Il débute dans le cinéma expérimental et dans le documentaire, allant jusqu’à filmer sur place la guerre en Afghanistan à l'aube des années 90. Il part ensuite en Angleterre et tourne des clips musicaux. Puis il signe son premier long-métrage Hardware en 90. Hollywood repère sa capacité à créer des images superbes où explosent littéralement ses qualités de plasticien. Il obtient alors un budget plus important pour son second métrage Le souffle du démon tourné en Afrique et qui sera mutilé comme d’habitude par les frères Weinstein qui distribuent le film aux USA.

Il collabore alors avec le groupe Marillion pour leur album concept Brave. Il est ensuite engagé par New line pour une nouvelle adaptation de L’Île du docteur Moreau en 1996. Une expérience cauchemardesque racontée dans l’excellent documentaire Lost Soul : The Doomed Journey of Richard Stanley's Island of Dr. Moreau qui montre comment le studio a détruit consciemment le travail du réalisateur. Stanley dégoûté quitte Hollywood. Pendant 20 ans, on verra bien son nom sur quelques scénarios, il apparaitra également dans des documentaires, mais il semblait évident pour tous les amoureux du cinéma de genre qu’il ne reviendrait pas derrière la caméra. Surprise ! En 2019, il est annoncé comme réalisateur pour une adaptation de la nouvelle La couleur tombée du ciel de Lovecraft !

30 ans après avoir disparu des écrans (il avait néanmoins tourné un sketch d’une anthologie), Richard Stanley est-il encore un grand réalisateur ? La réponse est simple : oui ! Stanley est bien de retour et signe tout simplement l’une des meilleures adaptations au cinéma de Lovecraft !

Lovecraft est un écrivain important dans la vie de Richard Stanley . En effet, sa maman lui lisait les écrits du romancier de Providence en guise de livre de contes quand il était enfant. Devenu adulte, c’est lui qui s’est mis à sa mère les écrits de Lovecraft alors qu'elle était alitée en raison d’un cancer généralisé. Dès 2011, suite à une séance de spiritisme, le réalisateur annonce vouloir mettre en scène La couleur tombée du ciel, mais il lui faudra de nombreuses années pour trouver les financements. Si le film existe, c’est grâce à un appel à deux heures du matin de l’un des acteurs américains les plus fous d’Hollywood : Nicolas Cage. Le neveu de Coppola s’engage à réduire son salaire. Le producteur de Mandy où apparaissait Cage, s’engage alors dans l’aventure. Le film est budgété à deux millions de dollars et le tournage commence.

Au regard du budget du film, La couleur tombée du ciel a l’avantage, par rapport à d’autres écrits de Lovecraft, de ne pas se situer à l’autre bout du monde, comme Les montagnes hallucinées. Que ce soit la nouvelle ou le film, l’action se situe principalement dans une ferme.  Pour autant, adapter Lovecraft au cinéma n’est pas chose facile. En effet, son style n’est pas forcément visuel et s’appuie sur une juxtaposition d’adjectifs en guise de description. Le célèbre auteur de L'Appel de Cthulhu se joue souvent des effets littéraires pour laisser imaginer l’horreur à ses lecteurs sans jamais vraiment la décrire. Comment alors rendre en images l’indicible Lovecraftien ?

Pour donner corps à son récit, Richard Stanley va tout simplement concentrer son attention sur les habitants de la ferme de Nahum Gardner. Son goût pour l’occultisme va également nourrir son film, le réalisateur multipliant ainsi les références ésotériques afin de donner corps à la cosmologie "Lovecraftienne" où l’homme est un insecte aux mains de forces supérieures.  Richard Stanley réussit également l’exploit de donner corps à la mystérieuse couleur tombée du ciel. Pour ce faire, il va utiliser des teintes roses et violettes qui sont aux limites du spectre visuel humain pour créer son entité venue par le biais d’une météorite. La couleur ainsi créée semble d’autant plus surnaturelle que le réalisateur et son chef opérateur usent d’une photographie où dominent le bleu et le gris afin d’exclure le rose et le violet de tous les plans du film*(1) jusqu’à l’arrivée de la météorite.

Certains détracteurs du film ont qualifié d’hystérique la seconde moitié de celui-ci.  À l’instar des adaptations de Stuart Gordon (Re-Animator...) , le recours à l’absurde me semble pourtant un excellent angle d’attaque pour donner vie aux écrits d’un auteur où l’horreur échappe à toute psychologie. Le grotesque de certaines situations et le jeu surréaliste de Cage sont en effet le reflet de la folie qui s’empare des personnages des romans et autres nouvelles de Lovecraft.

Grâce à l’inventivité de son réalisateur Richard Stanley , Color Out of Space est assurément l’une des meilleures adaptations au cinéma du génial écrivain de L'Appel de Cthulhu. Une oeuvre profondément originale à découvrir sur Amazon Prime.

Mad Will

*(1) : On retrouve la couleur dans les mèches de cheveux de la fille du héros. Un détail qui prouve les connexions de celle-ci avec des forces surnaturelles.