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Je vous propose aujourd’hui un focus sur le long-métrage Sanctuaire signé par Michele Soavi. Ce réalisateur italien aura démarré sa carrière comme assistant de Dario Argento et de Joe D’Amato qui lui donnera sa chance en tant que réalisateur en produisant son premier film Bloody Bird. Il faut savoir que l’homme a été également le réalisateur de seconde équipe de Terry Gilliam sur Les Aventures du baron de Münchhausen et Les Frères Grimm .

Avec Bloody Bird, il démontrait déjà un savoir-faire unique en sublimant un scénario lambda signé George Eastman ( M. Antropophagus pour les intimes !) pour en faire une oeuvre picturale rappelant aussi bien les maîtres italiens du giallo, que l’expressionnisme d’un Georges Franju par le biais d’un masque de hibou semblant tout droit sortir de la scène du bal de Judex . Un essai qui impressionnera Argento, qui l’appelle à ses côtés pour réaliser Demons 3, censé se dérouler dans une église. Un film qui deviendra Sanctuaire Michele Soavi nous donne à voir une oeuvre fantastique originale qui est plus proche de la peinture de Jérôme Bosch que de la saga gore aux limites du Z à l'origine du projet.

Après la réalisation de Sanctuaire , Soavi mettra en scène l’envoûtant La Secte toujours avec Argento en qualité de producteur. Sorte d’Alice aux pays des merveilles version gore, ce long-métrage s'avère encore plus maîtrisé que le précédant. Alors que le cinéma italien est exsangue à l’époque, Soavi représente le futur du cinéma de genre dans son pays pour tous les amateurs de fantastique. Désireux de s’affranchir d’ Argento qui a la réputation d’être plutôt despote avec ses poulains, Soavi s'en va signer un chef-d’oeuvre sous le giron de Canal Plus et Berlusconi avec Dellamorte dellamore . Poétique, porté par une caméra mobile flirtant entre les tombes avec l’aisance d’une ballerine sur la scène du Palais Garnier, le film est une référence que tout fan de fantastique se doit d’avoir vu tant ce mixe improbable entre l’esthétique baroque, le cinéma putride de Lucio Fulci et le Fumetti (bd Italienne populaire en noir et blanc) s'avère magistral. Malheureusement, ce long-métrage est un échec au box-office et Soavi part travailler à la télévision, le purgatoire des cinéastes italiens. Il est alors éloigné pendant plus de 10 ans des plateaux de cinéma. Plus de traces jusqu’en 2008 avec Arrivederci amore, ciao . Et là, le constat est sans appel ! Il n’a rien perdu de son talent, nous faisant dire que son absence est vraiment regrettable pour le 7ème art. En effet, Il signe ici le meilleur film de genre italien des années 2000, mettant son sens unique du visuel au service d'un scénario solide, tout en nous livrant une peinture assez effroyable de l’Italie du nouveau millénaire. Pourtant, alors que l’on se délectait d’avance de ses films à venir, son long-métrage suivant Il sangue dei vinti ne passe pas les frontières de la botte italienne. Depuis plus rien ! Cinéaste dont le lyrisme n’avait rien à envier à Leone, Soavi était un esthète dont le sens pictural hérité de la riche histoire de l’art italien, rappellait aussi bien Argento que Bava. Malheureusement, il arrive trop tard dans un cinéma italien gangréné par les comédies populaires produites à la chaîne par la télévision (ça ne vous rappelle rien ?). Néanmoins il aura été un pionnier pour une nouvelle génération de cinéastes italiens tels que Matteo Garrone qui revendiquent un style visuel affirmé.

Je ne tournerai pas autour du pot, l’intérêt que l’on porte à Sanctuaire n’est pas lié à son scénario ni même à sa direction d’acteurs. L’intrigue squelettique du film échappe en effet à toute logique narrative avec des personnages que le réalisateur semble lâcher au cours de son intrigue au profit de visions dantesques sous influence d’un Jérôme Bosch. On pense ainsi à ce démon cornu échappé du fameux tableau des Jardin des délices. De la même manière, l’interprétation est parfois risible. Les acteurs jouent de façon désincarnée, à la manière des hardeurs quand ils s’essayent de dire leur texte entre deux séquences de copulation. Seule Asia Argento dont c’est le premier rôle important semble croire en son personnage du haut de ses quatorze ans.

Néanmoins il ne faudrait pas oublier que Sanctuaire était avant tout une oeuvre de commande faite par son producteur Dario Argento afin d‘offrir un troisième volet aux Demons, une saga aux scénarios riquiquis, prétextes à des scènes gores où déambulaient des acteurs souvent médiocres. Demons c’est de l'exploitation un brin idiote sans véritable velléité artistique. Sauf qu’ici, sans vouloir dénigrer Lamberto Bava, nous avons à faire à un véritable artiste qui se réapproprie le projet pour en faire une oeuvre indépendante dont la production fut plus que brinqueballante. Le seul regret concernant Sanctuaire, c'est le fait que Soavi se sente obligé de nous offrir de temps à autre, une scène censée nous rattacher à une intrigue qui de toute façon ne fonctionne pas alors qu’il excelle dans l’onirisme. Dans La Secte puis Dellamorte dellamore , il saura gommer ce défaut avec un scénario qui sera au service de son univers où l’image compte plus que les mots. Mais peut-être que Dario Argento en tant que producteur ne lui a pas offert la même liberté qu’il avait avec son financier de père, Salvator Argento, qui le laissait libre quand il mettait en image ses délires sous opiacés autour des sorcières.

Sanctuaire fonctionne grâce à ces nombreuses séquences vécues par le spectateur comme un long cauchemar, à l’image de cette scène d’ouverture brutale avec son charnier à ciel ouvert. Une introduction où la maestria de Soavi est visible grâce à de nombreux mouvements d'appareil et une photographie ocre qui rappelle la peinture médiévale. On pense également à cet amoncellement de corps humains qui s’élève au centre de l’église et qui rappelle l'enfer vu par Jérôme Bosch, principale référence picturale du film. Sanctuaire , c’est du cinéma fantastique européen libéré des contingences du réel, où les visions oniriques héritées des surréalistes Buñuel ou Cocteau se multiplient. Que ce soit cette séquence où un enfant semble voler son visage à un autre, ou ce sabbat dans la crypte, Soavi parle ici directement à notre inconscient. Ce peintre des émotions prend possession littéralement de nos esprits, nous révulsant avec certaines séquences gore, nous amusant avec cette tête utilisée pour sonner les cloches, sans oublier de faire naître le désir en nous, en filmant la nudité féminine comme personne.

Sanctuaire porte déjà en lui les germes d’un talent unique qui explosera dans les films suivants de Soavi. Sanctuaire est un long-métrage que je vous recommande sur Shadowz.

Mad Will