Avec Oh Seung-Uk aux commandes, le cinéma coréen fait revivre la grande époque du film noir. Au programme, femme fatale, flic désabusé et amour impossible. Inspiré des œuvres de Jean-Pierre Melville pour l’ambiance et de la propre expérience de la pègre du réalisateur pour les faits, The Shameless est un vrai trésor caché !

Un chef d’œuvre à voir sur e-cinema.com : https://www.e-cinema.com/film/the-shameless

La critique :

On ne s'en rend pas toujours bien compte mais seule une minorité de films étrangers bénéficient d'une sortie en salles françaises. Bien souvent, les festivals de cinémas sont la seule et unique occasion de découvrir des chefs d'oeuvres lointains qui resteront introuvables pour le commun des mortels, pas même en DVD. Ce n'est pas que ces films soient moins bons, c'est surtout qu'ils sont trop différents de ce que le public a l'habitude de voir pour qu'un distributeur prenne le risque.  C'est par exemple le cas des films coréens. Depuis Old Boy de Park Chan-Wook et à l'exception de quelques grands noms, le cinéma coréen rime avec thriller ultra-violent et image léchée. C'est comme ça, c'est ce que le public connait et c'est donc ce qu'il attend.

The Shameless est tout l'inverse. Découvert en 2015 au Festival du Film Coréen de Paris et sélectionné à Cannes dans la catégorie "un certain regard", le film aurait dû rejoindre la cohorte des films oubliés. Contrairement à ce que son résumé pourrait laisser penser, The Shameless n'est pas un thriller coréen. Non, The Shameless est un film noir, un genre qui a presque disparu de nos salles obscures. Ici le rythme est lent, le scénario épuré et la violence rare mais abrupte. L'accent n'est pas mis sur l'action, mais sur les personnages, à la fois complexes et lucides à propos leurs situations inextricables. Le final, connu de tous, est inévitable. Un film noir ne peut pas bien se terminer.

Nous suivons le destin de Jae-gon (Kim  Nam-gil), un inspecteur de police dont le couple bat de l'aile. Trop absorbé par son travail, il délaisse autant sa famille que celle-ci ne comprend son engagement. Le policier traque un dangereux criminel et pour ce faire, il se rapproche, sous couverture, de l’amante du bandit, Hye-kyung (Jeon Do-yeon), qui dirige un bar à hôtesses. Inexorablement, la détresse autant que le charme de Hye-kyung ne le laisse pas insensible et sa couverture devient de plus en plus dure à tenir. La sempiternelle histoire de destins tout tracés, du tragique des amours impossibles. 

Je ne sais pas bien quand le film m'a attrapé. Le début se passait assez normalement. J'appréciais la mise en scène, le fait que le réalisateur prenne le temps de poser ses personnages, doucement, calmement. J'appréciais que l'action se déroule dans une partie plus pauvre de Seoul, loin de Gangnam. J'appréciais ce scénario simple, sans twist, ces rôles un peu caricaturaux de la femme fatale en détresse et du flic qui commence à en tomber amoureux... Et puis... Et puis j'ai subitement eu envie de pleurer. Pas sur une grande scène émotive, pas sur une musique déchirante, non !  Le film m'avait attrapé malgré moi !

Plus qu'une histoire, The Shameless est un film d'ambiance, de ressenti. Les acteurs n'en font pas trop. Il s'agit d'être digne dans le mélodrame et de ne pas tomber dans le pathos. La réalisation fait le reste, merveilleuse de simplicité, au service de la photographie. Pour son second long métrage, le réalisateur Oh Seung-Uk s'est inspiré de l'ambiance des films Jean-Pierre Melville, et cite volontiers l'influence de Un flic (1972) mais Kim  Nam-gil (le lieutenant) a également parfois des faux airs d'Alain Delon dans Le Samouraï (1967). Par ailleurs, le réalisateur s'est également inspiré de ses propres expériences de la pègre, et de nombreuses scènes renvoient à des moments vécus par lui-même ou par ses proches. Peut-être est-ce pour cela que la relation entre Kim Hye-Kyung et le lieutenant Jung n'est pas ridicule malgré les clichés et les questions qui restent en suspens.

Clairement, le film ne plaira pas à tout le monde et c'est assez normal car The Shameless tient plus du film d'auteur à budget que du cinéma commercial. Il a d'ailleurs été financé par CGV Arthouse, un fond qui accompagnait les projets de nouveaux réalisateurs. Nombreux seront ceux qui trouveront l'intrigue trop peu fouillée ou qui seront dérangés par les zones d'ombres des personnages, mais sa beauté est ailleurs. Ce n'est pas un film à regarder un dimanche soir avec un morceau de pizza dans une main et le portable dans l'autre. Il s'agit d'un film qui au contraire demande à être vu dans le calme, pour infuser le tragique jusqu'à son final grandiose, éclatant comme un coup de feu dans la fraîcheur du petit matin.

Gwenaël Germain

Disponible en ce moment sur e-cinema.com : https://www.e-cinema.com/film/the-shameless

La bande-annonce :