Hautement médiatisée, l'affaire d'un tueur en série est en pleine impasse, alors que la police a officieusement tué le seul suspect. Pour en terminer avec l'enquête, un haut gradé demande à un capitaine dont la carrière se traîne, d'inventer le parfait coupable. Mais sur son chemin, il croisera un procureur acharné et un mafieux très retors…The Unjust est un thriller machiavélique de Ryoo Seung-Wan dans lequel tout le système judiciaire coréen semble corrompu...Efficace, subtil, rythmé, le film est à découvrir sur Outbuster : https://www.outbuster.com/completement-a-l-est/unjust

 

La critique :

Ryoo Seung-Wan est un réalisateur qui se bonifie avec le temps, capable des pires navets quand il joue lui-même dans ses propres films, par exemple City of Violence (2006), un presque nanard à la tatane intempestive et au scénario oublié dans des toilettes à la turque d’un mauvais chimaek* de Hongdae**, mais aussi capable du meilleur quand il passe uniquement derrière la caméra et qu’il inscrit son scénario au coeur des préoccupation de ses concitoyens, comme dans Veteran (2015), un thriller social génial passé au Festival du Film Coréen à Paris mais dont les droits en France n'ont hélas jamais été achetés.

Tourné entre ces deux extrêmes, The Unjust est un thriller coréen de bonne facture, bien qu'assez classique, s'articulant autour d’innombrables trahisons entre procureurs, hauts gradés de la police, inspecteurs, et mafiosi peu amènes. On l'imagine, ce panier de crabe est un terreau plus que favorable pour que les alliances de circonstance se nouent et se dénouent au fur et à mesure que bougent les lignes. Comme souvent, un inspecteur de basse extraction est convoqué par sa hiérarchie pour couvrir les bavures de supérieurs contre promesse d'une carrière réussie. Ce dernier ne pouvant pas se mouiller lui-même, joue alors sur les rivalités entre gangsters, desquels les politiques ne sont jamais loin. Bien entendu, le tableau ne saurait être complet sans qu'un procureur véreux ne vienne mettre son grain de sel.

Ne nous le cachons pas, le terrain de jeu sur fond d'enquête de corruption n'est pas un sujet neuf et Ryoo Seung-Wan ne révolutionne pas le genre thriller policier avec ce film. Toutefois, en mettant en scène un flic prêt à tout et en évitant la figure classique du chevalier blanc qui se bat seul contre le système, le réalisateur dessine le portrait sans concession d'une société inégale où seule l'argent, l'entre soi et les corruptions permettent l'accès aux meilleures positions, une thématique qu'il creusera encore plus dans ses films suivants. Scénarisé par Park Hoon-Jung (auteur de J'ai rencontré le diable ; puis auteur-réalisateur de New World), The Unjust est donc essentiellement un film d'action prenant à l'intrigue bien ficelée, dans laquelle le spectateur prendra plaisir à apprécier les jeux politiques d'alliances de circonstance.  

Doté d'une très belle image, le film sort néanmoins du lot par un refus de sur-esthétisation de la violence, bien présente mais moins centrale que dans les thrillers sanglants des années 2000. The Unjust ouvre une nouvelle période du thriller coréen où les jeux d'alliances, la corruption des élites et les inégalités sociétales prennent le pas sur les récits de meurtriers ou de règlements de comptes entre membres de la pègre. Contrairement à leurs prédécesseurs des années 2000 (Old Boy , Memories of Murder , The Chaser ) qui se concentraient sur des criminels horribles et monstrueux, mais uniques, les thrillers des années 2010 opèrent un basculement vers une critique des pouvoirs établis et de la porosité entre les milieux politiques, journalistiques, économiques et criminels dont l'apogée (Inside Men et Veteran) feront du "système" le véritable criminel. En cela <The Unjust est une sorte d'épreuve du film de Véteran, au sens artistique du terme, réalisé par Ryoo Seung-Wan cinq ans plus tard, qui poussera ses thématiques à leur paroxysme à un moment où la société coréenne elle-même gronde contre sa classe dominante dans un mouvement sociétal qui finira par déposer la présidente Park Geun-Hye. Outre la thématique et le style, les deux films partagent d'ailleurs un casting très proche avec pas moins de cinq acteurs principaux en commun (Hwang Jung-Min ; Yu Hae-Jin ; Cheon Ho-Jin ; Jeong Man-Sik et Ma Dong-Seok ) qui prendront d'ailleurs tous de l'envergure dans la décennie.

En conclusion, The Unjust est donc un thriller-action efficace qui reflète bien une nouvelle approche dans le cinéma coréen. Assez proche des standards américains, il fait une excellente entrée en matière pour ceux qui voudraient découvrir le "style coréen" des années 2010.

Un très bon divertissement à retrouver sur Outbuster : https://www.outbuster.com/completement-a-l-est/unjust

Gwenaël Germain.

*ChiMaek : le raccourcis de Chicken Maekju, poulet-bière en français, l’équivalent du KFC à la coréenne dans lesquels il est de bon ton de s'emplir la panse de boisson houblonnée.

**Hongdae : Quartier étudiant de Séoul où se concentrent les bars, les clubs et autres boutiques fashions.

La bande-annonce :