Un film qui signe une révolution dans le cinéma coréen, et qui reste aujourd’hui encore une source d’inspiration pour de nombreux réalisateurs.
Réalisé par Kim Ki-young , La servante est un thriller domestique en avance sur temps qui vient bousculer la bonne société coréenne des années 60.

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La critique :

C'est toujours un exercice un peu particulier de regarder un film de patrimoine, a fortriori s'il est étranger et qu'il n'a pas été pensé pour l'international. On manque un peu de contexte.

Pour la majorité des sud-coréens, les années cinquante ont été des années de grande misère. À peine sorti de la seconde guerre mondiale, le pays sombre dans une guerre civile qui détruisit tout sur son passage. Entre 1950 et 1953, la Corée du Sud devint le champ de bataille d'une guerre de tranchées inhumaine, absolument semblable à ce qu'avait connu l'Est de la France durant la première guerre mondiale, mais avec les moyens militaires de la seconde. Plus un arbre debout sur les collines, et des terres qui gardent les cicatrices près de soixante-dix ans après les faits.

Au sortir de cette guerre pour rien, le pays émerge sous la forme d’une république bananière. Dirigé par une main de fer par un président élu "démocratiquement"  le pays se réindustrialise mais reste un des plus pauvres du monde. Parallèlement à la reconstruction du pays, le cinéma coréen renaît lui aussi de ses cendres, encouragé par une décision d'exonération fiscale. Le cinéma coréen n'est pas nouveau, il avait été florissant sous la colonisation japonaise (1905-1945) mais l'occupant avait pris le soin de détruire tout le matériel cinématographique avant de quitter le pays. L'après guerre civile voit donc lentement le cinéma se remettre en marche pour arriver, au cours des années 60, à une production en masse de films de divertissements à la botte de la dictature militaire en place à partir de 1962.

Entre les deux époques, l'année 1960 est particulière puisqu'elle voit les étudiants se soulever contre le président en place à la suite de nouvelles élections manipulées. La Corée constitue alors une deuxième république et connaît enfin, après la colonisation, la guerre et la dictature, une réelle liberté d'expression. Hélas, cette démocratie n'existe que pendant une seule année, puisque dès mai 1961, le général Park Chung-Hee prend le pouvoir par un coup d'état. Cette année fut néanmoins suffisante pour faire émerger un film scandaleux et extrêmement en avance sur son époque : La servante de Kim Ki-young .

Kim Ki-young est un cinéaste qui débute dans le métier au cours des années 50. Il est réputé atypique, taiseux et sûr de lui. Né dans une famille de petits fonctionnaires, il part étudier au Japon et découvre le cinéma occidental interdit en Corée. Durant la guerre civile, il rejoint le service d'information de l'armée américaine pour laquelle il tourne des documentaires d'actualités. Comme de nécessaire, son premier long métrage après la guerre, Instrument de mort, est lui aussi un film anti-communiste. Pourtant, il abandonne vite cette piste usée jusqu'à la corde dans le cinéma d'alors et se tourne rapidement vers le mélodrame familial à tendance érotique et vers la critique sociétale.

Sorti en novembre 1960, La servante (Hanyeo en coréen), est son premier grand succès au cinéma. Il met en scène un couple symbole de la remise en marche du pays et qui vient de se faire construire une grande maison. Madame élève les enfants et fait de la couture pour arrondir les fins de mois tandis que Monsieur est professeur de piano auprès d'ouvrières. Elle tombant enceinte. Le mari devant travailler dur pour subvenir aux besoins familiaux, le couple décide alors d'engager une jeune servante choisie parmi les étudiantes. Seulement la jeune femme en question n'est pas aussi sage que la bonne morale l'exige, et cherche vite à séduire le professeur quitte à affronter la mère de famille pour prendre sa place ! Le mari aime pourtant à apparaître en modèle de vertu, n'hésitant pas à dénoncer les jeunes étudiantes qui lui font du gringue en cours, mais la jeune femme ne compte pas disparaître sans avoir gain de cause. De mélodrame, l'histoire tourne au thriller domestique.

Dès sa sortie le film fait scandale dans la bonne société. Les maîtresses de maison, spectatrices privilégiées des cinémas de quartier, ne peuvent pas supporter une telle ignominie. Comment une jeune femme peut-elle oser revendiquer le mari d'une autre ?  Comment peut-elle briser la famille sacrée ! Jusqu'ici quand une femme libre aux mœurs légères était montrée à l'écran, une "madam freedom" comme les appelait un feuilleton populaire, c'était pour mieux les voir tout perdre et prévenir la morale. Seulement le film de Kim Ki-young renverse le paradigme et ne regarde, non pas la culpabilité de la tentatrice, plutôt dépeinte comme voulant désespéramment accéder à la propriété du mari (c'est à dire à la fois à l'amour, au sexe, mais surtout au confort matériel), mais regarde l'hypocrisie de la mère de famille, obnubilée par la réussite financière et celle du mari qui sous ses airs vertueux n'est pas insensible aux charmes estudiantins.

La servante n'a rien à voir avec les mélos de l'époque qui entretiennent les valeurs morales classiques. Par sa violence inédite, aussi bien morale que physique, par sa gestion graduelle de la tension et par sa maîtrise technique, le film captive ses spectateurs. Son excentricité a du Hitchcock en elle. La pluie ne contente pas de tomber à la fenêtre. C’est un déluge qui trempe jusqu'aux os la jeune servante qui regarde la famille depuis le balcon. Elle explose en éclairs comme autant de représentations du combat psychologique qui se joue dans le huis clos familial.

Le film est tellement novateur, il échauffe tellement les esprits que la haine se déverse sur l'actrice jouant la servante (Lee Eun-Shim ) qui doit renoncer à toute carrière dans le cinéma tant son rôle fut détesté. Paradoxalement, le réalisateur Kim Ki-young se fait un nom et devient le réalisateur qui ose dévoiler l'hypocrisie du monde et qui inspira des générations de jeunes réalisateurs. Il n'aura d'ailleurs de cesse, durant toute sa carrière et à chaque époque, de signer des remakes de ce film princeps, un peu à la manière d'un peintre qui ne cesse de décliner les mêmes variations de son oeuvre.

Pour sa puissance, son importance dans l'histoire du cinéma et tout simplement pour un simple plaisir de cinéma, La servante est un film à ne pas rater.

Gwenaël Germain.

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La bande-annonce :