Premier long métrage de la très talentueuse Jeon Go-Woon , Microhabitat avait fait sensation en 2018 au Festival du Film Coréen à Paris. Une comédie dramatique drôle et touchante qui met en lumière les difficultés des jeunes adultes en Corée du Sud.

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La critique :

Une électricité trop chère, un petit boulot qui ne paye pas assez, le loyer qui augmente, bref, c'est la dèche pour Miso, 30 ans. Il fait tellement froid cet hiver à Séoul que même coucher avec son copain sans chopper des engelures relève du miracle. Hélas, elle ne peut guère s'offrir mieux avec son salaire de femme de ménage et ce, même sans faire des folies. Le seul petit plaisir qu'elle s'octroie, c'est de continuer à fumer de mauvaises cigarettes et de boire de temps en temps un bon verre de whisky au bar. Miso n'est pas une ambitieuse, vivre simplement lui suffit, mais même ça, ça devient compliqué. Alors plutôt que de se priver de ses petits instants de réconfort, elle décide de plaquer ce qui lui coûte le plus cher : son appartement. L'idée est de joindre l'utile à l'agréable et d'en profiter pour faire le tour de ses amis, se rappeler de façon nostalgique du bon vieux temps et d'économiser de quoi payer une nouvelle caution.

Découvert en France en 2018 par le fabuleux Festival du Film Coréen à Paris (FFCP : http://www.ffcp-cinema.com), Microhabitat était LE film qu'il ne fallait pas rater au festival cette année là et c'est immense plaisir que de le savoir enfin disponible pour tout un chacun. Réalisé par Jeon Go-Woon , une des cinéastes les plus prometteurs de la scène indépendante coréenne, Microhabitat est un film beau, poétique, social, et drôle qui nous emmène à la rencontre des travers de la société coréenne. L'argent, le succès en entreprise, le mariage, les enfants, les amis de Miso ont tous, lentement mais sûrement, glissé dans l'âge adulte, s'empêtrant tous dans les conventions sociales qui les enferment et les rendent malheureux. Miso, en refusant de se plier au cadre, est certes la plus pauvre, mais surtout la plus libre.

En racontant l'histoire de Little Princess, le titre international, la jeune réalisatrice Jeon Go-Woon voulait dresser le portrait d'une héroïne différente des standards habituels. Une jeune femme qui, en vivant simplement, sans courir après l'argent ni le mariage, déstabiliserait les spectateurs et viendrait mettre en lumière les difficultés de la jeunesse à vivre pleinement, à commencer par les soucis de logement. C'est qu'en Corée du Sud comme ailleurs, la majorité de l'activité économique se trouve à la capitale où de plus en plus de jeunes travailleurs se massent. Conséquence directe, les logements ne sont pas assez nombreux à Séoul et les prix explosent. Le système de location d'appartement est assez différent du nôtre puisque le loyer à payer dépend directement de la caution versée à l'emménagement. Plus celle-ci est élevée, parfois jusqu'à la moitié de la valeur du logement, moins le loyer est cher. L'idée étant qu'une forte caution permet au propriétaire d'investir ailleurs et donc de gagner plus que ce que rapporterait un simple loyer. Cette situation est particulièrement compliquée pour les jeunes adultes puisqu'ils n'ont bien souvent ni les moyens d'acheter un logement, ni la possibilité de payer une caution élevée et donc d'accéder à des loyers modérés. Ainsi si la famille ne peut les aider, les jeunes n'ont d'autres choix que de s'endetter, rester de très longues années chez leurs parents ou de vivre dans des taudis comme ceux que Miso visite après avoir épuisé son carnet d'adresse.

Au-delà de la question des difficultés générationnelles, le film porte en lui un message ouvertement féministe, ou plutôt anti-patriarcal. Bien que les coréens jouissent d'un niveau de vie équivalent à celui existant en Europe et que la population est hautement diplômée, le pays ne brille guère en matière d'égalité femme/homme. Les traditions néo-confucianistes sont toujours très ancrées dans l'inconscient collectif et de très nombreuses obligations sociales en découlent toujours comme l'obligation de se marier (jeune) et de donner une descendance, mâle de préférence. Traditionnellement les hommes sont favorisés et toute la maison doit se mettre au service du chef de famille considéré comme le pilier central. On attend donc des femmes qu'elles soient de bonnes épouses capables de tenir une maison, prendre soin des enfants, du mari et même des parents du mari qui une fois à la retraite reviennent vivre chez le fils aîné. La question n'est pas nouvelle dans le cinéma coréen, néanmoins Microhabitat traite le sujet de façon bien plus subtile puisqu'il montre à la fois l'effet négatif de ces traditions sur les femmes (plusieurs amies de Miso n'ont pas vraiment de mariage heureux) mais également l'impact et le poids porté par les hommes dans un tel système. C'est qu'il n'est pas du tout question pour la réalisatrice de s'attaquer aux hommes, mais de pointer, dans une ironie jubilatoire des rouages de la comédie humaine.

Chaque amie ou ami rencontré par Miso est l'occasion de rire de ces rouages, de les dénoncer, sans les dramatiser. Miso a d'ailleurs plutôt un regard tendre sur ses amis et ne remet pas en cause leurs propres choix. Même si elle adopte des options incompréhensibles pour la majorité, elle n'est pas dans une attitude de rébellion revendicative. Elle agit même plutôt comme une bonne fée auprès de ceux qu'elle visite et ne cherche pas à abuser de leur hospitalité. Cela maintient cette comédie dramatique, portée par une actrice (Lee So-young) qui irradie l'écran par sa simplicité, dans une atmosphère légère malgré son sujet. La réalisation va d'ailleurs dans ce sens. Microhabitat est un film très équilibré dans son ton et son rythme, prenant suffisamment de temps pour décrire les situations et faire naître l'émotion, mais ne s'appesantissant jamais trop sur les phénomènes dénoncés. Le film n'est pas là pour expliquer mais pour montrer une autre voie possible, hors d'une frénésie capitaliste aliénante.

Poétique et engagée, Jeon Go-Woon signe avec Microhabitat un magnifique portrait de femme libre à voir sur Outbuster.com

Et pour aller plus loin, je vous invite à lire ma rencontre avec la réalisatrice sur : Asialyst.com

Gwenaël Germain.

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La bande-annonce :