Pouvez-vous revenir sur votre parcours, sur ce que vous avez fait avant de réaliser 1336 jours et qui vous y a mené ?

J'ai été syndicaliste dans l'automobile dans les années 80. Aussi quand je me suis mis au documentaire, j'ai voulu parler de la classe ouvrière. D'où le film "La tôle et la peau. dire l'usine" sur la condition ouvrière à l'usine, et le premier film sur les Fralib, "Pot de thé / POT DE FER" sur leur première année de lutte contre la fermeture. Je les avais rencontré lors de leur lutte salariale au printemps 2010 et on avait déjà décidé de faire un film avec eux. Et en semptembre, la direction annonce son intention de fermer l'usine, donc c'est devenu ce premier film. Le deuxième était prévu sur la Scop, mais la lutte a été tellement longue et riche en rebondissements qu’il fallait un film entier pour l’évoquer : 1336 jours, des hauts, débats mais debout.

Pouvez-vous nous parler de votre organisation de tournage ?

Mon propos est principalement de transmettre la parole ouvrière sur leur propre lutte : il y a donc beaucoup d’interviews face caméra où le travailleur aborde les questions qu’il souhaite. C’est très peu directif : je choisis la personne, je propose un moment et le cadre, et je fais avec le résultat…

Pouvez-vous nous parler des choix que vous avez effectués, des questions que vous vous êtes posées, lors de votre travail de montage des nombreuses heures de rush que vous avez dû récolter ?

Effectivement, j’avais quantité d’enregistrements faits au cours des années de la lutte. Il a fallu trier et serrer le propos. La lutte était complexe, avec beaucoup de changements de dispositif et de questions à traiter : le film s’en ressent, il est encore trop touffu, même s’il cherche à clarifier cette complexité : les questions juridiques, économiques, médiatiques, de choix d’orientation, le rapport aux politiques, les actions concrètes et l’occupation elle-même, les convergences de solidarité de lutte, les protubérances artistiques auxquelles elle a donné lieu… Tout cela est dans le film et dans les boni du DVD (1h30 en plus). Ce n’est pas à moi de juger du résultat mais je vois bien aux débats qui suivent le film que tout n’est pas clarifié encore et qu’il y a encore moyen de faire passer le souffle de la lutte par des compléments d’informations !

Qu'avez-vous vu pensé, en regard de votre film ou non, de Merci patron ! ?

Merci patron ! est très jouissif à regarder. Mais mon propos est différent : une lutte collective, menée par les ouvriers eux-mêmes. Cela fait deux regards très différents, même s’ils cherchent chacun à stimuler la réflexion et l’action. Je suis loin de la caméra cachée et des manigances, je filme les événements qui se déroulent sans moi, et essayant d’en montrer la portée émotionnelle et politique de la part de ceux qui les vivent. Ouvriers se prenant en main avec ténacité et créativité, le contenu du film est l’inverse de Merci patron !

Après avoir répondu à cette question, pouvez-vous lire l'analyse que je propose dans ma critique publiée sur notre site et me dire les remarques qu'elle vous inspire ?

J’ai respecté votre demande et viens juste de relire votre critique ! Merci d’avoir partagé ces différences ! Les ouvriers aujourd’hui ne sont plus une référence sociale qui polarise le reste de la société, d’où l’importance de leur redonner la place qui devrait être la leur, surtout quand ce sont eux qui la gèrent ! Tant mieux aussi si vous avez trouvé que le film peut être un puissant stimulant aux résistances sociales, ce serait un grand compliment s’il servait à cela. Le premier film avait été envoyé à tous les syndicats CGT de l’agro-alimentaire dans ce but… Après, il y a quelques débats politiques qui seraient à mener : Mitterrand traître ? A la bourgeoisie, je ne crois pas ! Je ne partage pas totalement non plus la remarque citée de Didier Eribon. Ce serait une erreur de croire que la force ouvrière peut se reconstituer sur le local et le national. Le local, elle l’a souvent revendiqué (les FTP-MOI, les Lip, les Volem viure al pais,…). Et le national, il faut plutôt s’en débarrasser comme une fausse piste, et lui opposer une appartenance et des intérêts de classe multinationale. Beaucoup de grandes luttes l’ont aussi montré, celles de l’automobile depuis les années 60 par exemple, valorisées par Sartre comme cela est bien rappelé. Enfin, il faudrait approfondir cette question essentielle de la « politisation de la pensée » dont vous parlez. Peut-être le film à venir sur la Scop-ti en parlera mieux…

De quels moyens disposez-vous pour assurer la diffusion du film ?

Le distributeur Films des deux rives s’est saisi du film et lui a permis d’être diffusé bien au-delà du premier. Reste que le film ne fait pas le buzz parmi les syndicalistes et qu’il n’est pas encore perçu comme « à voir absolument» par toute la frange militante engagée dans le combat contre le capitalisme.

Êtes-vous en lien avec d'autres documentaristes engagés et si oui, pouvez-vous nous en parler ?

Non, pas vraiment. Je ne suis pas connu d’eux et si j’apprécie le travail de beaucoup d’entre eux, rien en m’indique que ces films ont été remarqué. Je suis d’accord avec votre formule « d’archive des luttes ouvrières ». Je pense que le film peut être perçu comme cela, le témoin d’une pointe avancée du combat ouvrier des années 2010. Pour l’instant, ce n’est pas le cas…

 

La date de sortie du film est-elle stratégiquement pensée pour que le film amène du grain à moudre dans les campagnes présidentielle et législatives en cours et si oui, pouvez-vous revenir sur ce choix ?

Nous avions pensé d’abord sortir le film pendant la lutte contre la loi travail, comme contribution à la lutte sociale qui s’y menait. Mais cela n’a pas pu se faire. Du coup, on a effectivement pensé à la période électorale avec en tête des débats potentiels sur une perspective ouvrière de société. Mais elle est si peu en débat que c’est un coup d’épée dans l’eau ! Symptomatiquement, les débats sur le film portent sur la SCOP bien plus que sur la lutte dont elle est le débouché.

Quels sont vos projets cinématographiques après 1336 jours ?

Il y en a deux : un film sur la scop-ti elle-même, comment les ouvriers salariés en lutte dans une multinationale se sont “reconverti” à la gestion d’entreprise, en cherchant à concilier les deux bouts : une démarche syndicale sur les salaires, les conditions de production et la qualité des produits avec les objectifs de rentabilité pour survivre et développer la scop et l’emploi. J’ai aussi un projet sur (contre !) la prostitution, en partant du fait que la loi sur la pénalisation des clients est passée mais sans débat et réflexion dans la population, et donc à contre-courant des idées dominantes, le fameux “plus vieux métier du monde”, naturel en quelque sorte, construction idéologique qui arrange bien le lobby de la prostitution. Mais ce n’est encore qu’un projet, le fond et la forme restent à préciser pour arriver au bout… 

Merci à Claude Hirsch et Les Films des Deux Rives. Interview réalisée par Florine Lebris.

La fiche du film.