Alors que des slashers emblématiques comme Halloween, Jason ou Freddy ont déjà terrorisé le public depuis la fin des années 70 et façonné des figures qui deviendront incontournables, le déroutant Bernard Rose impose lui aussi un boogeyman dans l’histoire du cinéma d’horreur avec ce Candyman , sorti en 1992.

Adaptation d’une nouvelle de Clive Barker intitulée Lieux interdits (The forbidden), le film met en scène Helen Lyle (Virginia Madsen), une étudiante à l’université de Chicago qui rédige une thèse sur les légendes urbaines. Au cours de ses recherches elle découvre le récit du Candyman (Tony Todd), un fantôme vengeur que l’on invoque en disant cinq fois son nom dans un miroir et qui hante le quartier pauvre de Cabrini Green en assassinant ses habitants. Après une nouvelle victime, Helen Lyle se rend sur place pour enquêter.

Légende urbaine en forme de faux slasher mais aux vrais aspects romantiques, gothiques et sociaux, Candyman est une œuvre protéiforme. Alors que Lieux interdits se déroule initialement à Liverpool, Rose décide d’implanter son film à Chicago, prenant comme décor le quartier pauvre de Cabrini Green pour raconter cette légende urbaine du Candyman , un ancien esclave noir torturé à mort pour une histoire d’amour avec une blanche. En prenant pour thème ce mythe et en l’ancrant dans un ghetto, Rose donne volontairement au film une dimension sociale forte. Évidemment, il n’est pas le premier à utiliser du genre comme vecteur politique (au hasard Romero ou Hooper) mais les années 80 ont eu tendance à dévoyer le genre horrifique en le vidant de sa substance contestataire. Candyman retrouve quelque part cet écho politique avec cette idée d’un croquemitaine noir, ancien esclave qui punit les placardisés.

Le film qui apparait en filigrane comme un violent réquisitoire était pourtant dans le collimateur de la NAACP, une organisation américaine de droits civiques luttant notamment contre le racisme. Le pitch d’un spectre noir qui assassine ses victimes dans un quartier pauvre avait provoqué une levée de boucliers. Pourtant le film délivre au contraire le message inverse et balaye finalement toutes critiques de ce côté-là. Le personnage joué par Tony Todd incarne le racisme et sa condition est le résultat de la logique discriminatoire poussée à son paroxysme. Rose et Barker enfoncent le clou en associant cette sombre histoire des États-Unis avec les quartiers défavorisés et les déclassés sociaux. Paradoxe, Candyman explique qu’il peut mourir si les gens oublient la légende. Un cruel devoir de mémoire qui résume bien l’antinomie du film. Ne pas oublier l’esprit vengeur pour comprendre ce qui l’a entrainé là c’est aussi s’obliger à se souvenir du sang que la ségrégation a sur les mains...

L’idée est d’autant plus forte que ce sous-texte politique brulant ne vient jamais paralyser le film et l’enfermer dans un discours moralisateur. La mise en scène de Bernard Rose dose parfaitement ses effets et donne magistralement corps au talent de Clive Barker, l’enfant terrible du fantastique britannique, qui scénarise ici sa propre nouvelle et participe à l’une des meilleures adaptations de son œuvre. Épaulé par la musique de Philip Glass, un score entêtant et très mélancolique qui deviendra célèbre, le film façonne une ambiance complexe, qui oscille entre épouvante et romantisme.

Car si l’horreur fonctionne parfaitement, on trouve en effet des tonalités plus sentimentales. Le passé tragique de Candyman assassiné pour une aventure amoureuse et la relation qu’il entretient avec Helen forment une intrigue ambiguë puisqu'il semble vouloir la séduire et l’emmener avec elle et pourtant la manipule comme un pantin. (début SPOILER) On note d'ailleurs que la mise en scène fait jusqu’au bout planer le doute sur la santé mentale de Helen. Impossible de savoir si le tueur existe vraiment et le film est construit de telle manière que la potentielle schizophrénie du personnage de Virginia Madsen n’est pas à exclure (fin SPOILER). Une idée renforcée par la récurrence des miroirs, motif gothique assez classique en la matière.

Côté casting, Tony Todd, après une prestation intéressante dans La nuit des morts-vivants de Savini trouve un rôle parfait qui le propulsera en tant que figure de l’horreur. De son côté Virginia Madsen compose un personnage multifacette mystérieusement équivoque.

Avec un budget de 8 millions de dollars, le film en rapportera 25 millions, et reste plus de 25 ans après un incontournable qui devrait inciter les cinéphiles qui ne l’ont pas encore fait à se pencher sérieusement sur la filmographie de Bernard Rose.

Thomas