Troisième volet du triptyque commencé avec Nostalgie de la Lumière en 2010 et Le Bouton de Nacre en 2015, La cordillère des songes est un magnifique film empli d'émotion dans lequel le réalisateur chilien Patricio Guzmán, revenant sur le passé agité du pays, entre en résonance avec l'actualité chilienne de cette fin d'année 2019.

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La critique :

Il y a maintenant quarante-six ans que Patricio Guzmán a quitté son Chili natal, contraint à l’exil comme près d’un million de personnes après le coup d’État de Pinochet. Pourtant, il ne s’en est jamais réellement éloigné. Depuis les années 70, il a réalisé une vingtaine de documentaires sur son pays d’origine, ses révoltes et ses grandes figures politiques : La Bataille du Chili (1975-1979), Le cas Pinochet (2001), Salvador Allende (2004). La Cordillère des Songes vient clôturer une trilogie plus particulière, dans laquelle le cinéaste entretient un rapport intime avec l’histoire mouvementée de son pays, qu’il compare aux trois grandes barrières naturelles qui le traversent : le Désert d’Atacama dans Nostalgie de la Lumière (2010), l’océan Atlantique en Patagonie dans Le Bouton de Nacre (2015) et enfin la Cordillère des Andes dans ce dernier volet.

Dans un premier temps, Guzmán se plonge dans ses souvenirs d’enfance à Santiago, filmant la maison de ses parents dont il ne reste qu’une étrange carcasse, comme le dernier témoin du temps révolu. A cette pierre détruite il compare l’immuable montagne des Andes, qui, muette, a vu passer toute la violence des répressions. C’est en s’approchant au plus près de la roche avec sa caméra que le cinéaste en décèle toutes les fissures, déclenchant ainsi le même mécanisme de comparaison que dans Nostalgie de la Lumière et Le Bouton de Nacre. Tour à tour, Patricio Guzmán filme ses amis chiliens sculpteurs, écrivains, cinéastes, qui racontent leurs histoires avec le pays.

L’un deux prend progressivement un peu plus d’importance : Pablo Salas, un cinéaste qui a consacré toute son œuvre aux manifestations de protestations chilienne, de Pinochet à aujourd’hui, en quelque sorte un alter égo sur le terrain de son confrère exilé. Dans son bureau ou plutôt sa tanière, il détient des milliers d’heures de rush de violences policières, d’arrestations arbitraires, que Guzmán insère dans son récit. Devant ces images du chaos, vieilles comme le monde -et la montagne- difficile de ne pas penser aux heures sombres actuelles, dans nos manifestations en France ou chez les étudiants de Hong-Kong ainsi qu’aux événements qui agitent de nouveau le Chili. Patricio Patricio Guzmán tire intelligemment sur la sonnette d’alarme, tout en laissant la liberté au spectateur d’en établir ses propres conclusions sur un éventuel parallèle entre passé et présent.

Parce qu’il amène son sujet de manière plus frontale, ce nouveau documentaire va moins chercher du côté de la métaphysique que les deux volets précédents, mais perpétue cette incroyable faculté qu’a Guzmán de ramener les expériences intimes à une histoire universelle. À presque quatre-vingt ans, le réalisateur s’exprime aussi lui-même avec émotion sur son pays qu’il avoue à demi-mots avoir abandonné. Pourtant l’intégralité de son œuvre témoigne que ce délaissement n’est que physique. Car le Chili – comme les murs de sa maison parentale et la majestueuse Cordillère des Andes – restera inlassablement accroché à son cœur.

Suzanne Dureau

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La bande-annonce :

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