Chers lecteurs, je vous propose de plonger à nouveau dans la filmographie de George Romero. Avant de commencer à lire cette revue de critiques sur ses films, je vous invite à découvrir la première partie de notre dossier sur le cinéaste américain où nous évoquions ses oeuvres de jeunesse : Lien


Zombie - Dawn of the Dead

Zombie est tout simplement l’un des plus mémorables longs-métrages du cinéma d'horreur. Ce film a été l'occasion pour Romero de travailler avec le maestro Dario Argento qui va financer via des fonds italiens la moitié du budget du film. Zombie a été envisagé par son auteur comme une modernisation de La Nuit des morts-vivants , via une esthétique plus pop où l’on retrouve parfois les couleurs criardes des comics d'horreur de son enfance. Le réalisateur souhaitait dans ce deuxième volet offrir un discours politique beaucoup plus prononcé que dans son premier film de zombies. Le montage américain du film supervisé par Romero est sensiblement différent du montage européen qui est l’oeuvre d’Argento. Je serais franc avec vous, ma préférence va à la version européenne portée par la musique des Goblin et plus resserrée en matière d’action. En effet, en tant que formaliste, Dario nous donne à voir un film moins ironique et plus crépusculaire que la version de Romero plus politique, mais parfois bavarde. La mort n’a jamais semblé aussi tangible au cinéma dans ce film radical à l’image du cinéma des années 70 et de son réalisateur engagé. Un chef-d’œuvre tout simplement !

Knightriders

Étrange film que ce Knightriders où pour la première fois de sa carrière, George Romero tourne avec un budget confortable tout en gardant une liberté créatrice totale. Le cinéaste nous propose ici une relecture contemporaine du mythe arthurien avec des bikers qui reproduisent les joutes du moyen âge sur leur destrier mécanique. Ce scénario de série B devient devant la caméra de Romero une épopée fascinante où le mythe arthurien évoque la fin des idéaux des années 60 au moment même où Reagan arrive au pouvoir. Knightriders est moins cynique qu’à l’accoutumée chez Romero, grâce à un final assez touchant qui invite le spectateur à remettre en cause notre monde construit autour des inégalités. Un film tout simplement bouleversant !

Creepshow

Ce film à sketchs est un hommage à la grande maison d’édition américaine EC Comics créée en 45 pendant l’âge d’or des comics (1938 à 1955). En deux mots cette société développe après-guerre différentes séries notamment d’horreur, d’aventures et de thriller qui vont avoir un succès populaire fou auprès des jeunes et des adultes. Évidemment la censure guette et voit d’un très mauvais œil cette littérature décadente qui franchit allègrement le cadre de la morale. Un essai à charge du psychiatre Fredric Wertham (Seduction of a innocent) va même jusqu’à tenter de montrer la mauvaise influence qu’exercerait directement les comics sur les jeunes lecteurs. Les politiques s’emparent du sujet et les éditeurs décident d’anticiper la censure en créant un code, inspiré du Code Hays pour le cinéma, pour encadrer et réguler le contenu des comics. EC Comics est alors dans la tourmente tandis que d’autres éditeurs doivent s’autocensurer pour satisfaire aux exigences du Comics Code Authority. EC Comics va connaître une grande crise financière et l’âge d’or des comics arrive à son terme. C'est la fin d’une époque qui a marqué toute une génération d’auteurs (Stephen KingGeorge A Romero, Alan Moore, Frank MillerDavid Cronenberg) qui revendiqueront l’influence de ces bandes dessinées sur leur travail. En s’associant avec King pour Creepshow , Romero offre un bel hommage à cette littérature de jeunesse décomplexée qui a marqué ses jeunes années ainsi qu’une revanche sur les censeurs de l’époque. Belle association que ses deux talents qui partagent quelques points communs. Outre leur statut, d'« indépendants », ils restent attachés à des villes qui ne sont pas particulièrement considérées comme de grands foyers culturels (pour Romero notamment le fait de ne pas vouloir quitter Pittsburgh va lui plomber sa carrière) et ils sont tous deux des références lorsqu’il s’agit de parler des peurs.

Ces deux francs-tireurs créent Creepshow , une dédicace aux BD de EC Comics en forme de doigt d’honneur à la censure de l’époque. Et quitte à pousser le bouchon autant y aller au maximum. C’est pourquoi Creepshow ne brille pas particulièrement par ses cohérences scénaristiques ou par la profondeur de son scénario. Proche du matériau original, les 5 histoires développées sont cathartiques et emballées pour délivrer le shoot d’humour noir et de situation joyeusement sadique.

Le premier sketch, tout en carton-pâte, lorgne du côté du gothique époque Hammer à la sauce Mario Bava avec ses couleurs primaires très prononcées, et propose une délirante histoire de fête des Pères à la sauce gore. On retrouve avec plaisir Ed Harris dans cette histoire simple, mais emblématique des récits de vengeance des EC Comics.

Le 2e sketch est le plus WTF avec un Stephen King himself en roue libre totale. Plagiant Jerry Lewis, l’écrivain du Maine est le héros de ce segment sans doute le moins abouti mais qui résonne quand même avec un certain humour noir cher à l’auteur.

Le troisième segment est plus contemporain et met en scène façon Saw  avant l’heure un Leslie Nielsen très éloigné des Y a-t-il un flic pour sauver la reine. Il est ici froid et calculateur, prêt à tout pour se venger. Attention au retour de marée cependant ! Ce segment est le plus psychologique et l’on découvre un Ted Danson tout jeune qui se fera connaitre par la suite avec des comédies familiales telles que Trois hommes et un bébé .

Le quatrième film rappelle presque l’univers de Lovecraft avec cette mystérieuse caisse ramenée d’une expédition polaire du XIXe siècle et soigneusement cachée sous l’escalier d’une université.  Très fun, porté par une esthétique presque cartoon, nous avons le plaisir de retrouver ici l’égérie de John Carpenter Adrienne Barbeau en insupportable mégère alcoolique.

Enfin le dernier segment est une charge sociale très réussie qui s’inscrit véritablement dans le cinéma hautement politique de Romero. La critique d’un horrible patron avec cette idée très graphique de vengeance orchestrée par une armée de cafards, symbole à la fois de l’exploitation et de la folie sans limites du chef acariâtre. Un mix improbable entre Capra ou le Dickens d’Un chant de Noël et les films d’insectes tueurs tels que Les Insectes de feu  ou L'Horrible Invasion .

Côté mise en scène, les effets de lumières monochromes rappellent que les comics se déclinaient au début sur seulement 4 couleurs pour réduire les coûts. Tom Savini de son côté assure des maquillages réussis qui confèrent beaucoup à l’esthétique du film. Creepshow , sera un succès et donnera envie à Romero de poursuivre sur ce chemin. Bloqué par une histoire de droits il créera sa propre série The Tales From Darkside produite par Laurel Entertainment (fondée par Romero qui la quitte en 1984) et fera également une grande incursion du côté des comics.

Le Jour des morts-vivants

Troisième opus de sa première trilogie autour des morts-vivants, Day of the dead est le volet le moins apprécié par les amateurs de chair putride. De tous ses films de morts-vivants, ce fut peut-être son film le plus difficile à monter. En effet, Romero va écrire plusieurs versions de scénario au cours des années 80 où il devra à chaque fois revoir à la baisse ses ambitions en raison d’un budget de plus en plus réduit. Si dans Zombie et La Nuit des morts-vivants, Romero mettait en scène l’opposition entre les vivants et les morts, dans ce dernier volet, le réalisateur signe une oeuvre glaciale ou les derniers survivants sont incapables d’exprimer la moindre émotion et semblent aussi morts que les zombies qu’ils combattent. Ce n’est donc pas un hasard si Romero enterre les vivants dans des bunkers.

Pas d’humour ni de personnage positif auquel se raccrocher, Le Jour des morts-vivants ne cherche pas à faire plaisir à son spectateur. Même l’amateur de gore ne sera pas satisfait par le traitement clinique de la violence dans ce film où l’essentiel de l’action passe par les dialogues. Enfin la photographie du film est presque monochrome et rappelle la lumière des néons dans les morgues des hôpitaux. Le Jour des morts-vivants est une oeuvre glaciale qui conclut parfaitement une trilogie où l’espoir n’a plus sa place. Un film à revoir absolument.

Incidents de parcours - Monkey Shines

Libre adaptation d’un roman de Malcolm Stewart et film de studio, Incidents de parcours n’en est pas moins une œuvre très personnelle pour Romero. Nous retrouvons dans ce film beaucoup de thèmes et d’interrogations qui parcourent son oeuvre, au premier plan les rapports de l’homme à son animalité, la part de l’instinct et de la raison, l’origine de la conscience et sa formation, mais aussi les rapports de domination dans le couple. Passé complètement inaperçu lors de sa sortie en 1988, Monkey Shines sera un nouvel échec commercial pour le réalisateur qui ne retrouvera le succès auprès du public qu’en 2005 avec le quatrième volet de sa tétralogie des zombis Land of the dead .

Mais que raconte le film ?

Allan, un jeune homme sportif devient paraplégique à la suite d’un accident. Un de ses amis, Geoffrey, docteur en physiologie animale lui offre Ella, un singe femelle capucin dressée pour lui servir d’aide. Ce singe a ceci de particulier qu’il a subi un traitement à base d’injection de cerveau humain pour booster ses capacités intellectuelles. Ella se révèle donc extrêmement efficace et s’attache très vite à son nouveau maître. Mais cet attachement prend de telles proportions qu’Ella ne supporte plus toute personne s’approchant d’Allan.

L’intérêt du film réside avant tout dans le suspens qui le parcourt et dans la présentation d’une atmosphère qui se dégrade avec le temps. Il n’y a pas de message de critique sociale, rien de métaphorique, mais il faut voir l’intrigue plutôt sous un aspect psychologique voire psychanalytique : comment s’instaure dans un couple des rapports dominants/dominés ? Comment le surmoi perd du terrain face à un inconscient rempli de pulsions meurtrières ? En effet le petit singe, grâce à une communication télépathique avec Allan, non seulement obéit aux ordres conscients de son maitre, mais aussi accomplit ce qui est enfoui dans son inconscient : le désir de prendre sa revanche contre la frustration qui l’habite depuis son accident.

Romero n’use jamais du gore, au contraire de ses films de zombis. Il adopte une certaine retenue dans l’horreur ce qui paradoxalement la renforce. Par exemple lors de l’accident, on ne voit pas le corps du personnage, mais juste ce qu’il portait se briser en tombant sur le sol. Il use du même procédé pour nous dévoiler la véritable nature de ses personnages, Romero nous montre ainsi comment ils sont perçus par les regards extérieurs et ensuite comment ils sont au fond d'eux-mêmes. Prenons l'exemple du médecin qui semble compétant aux yeux de tous, mais qui au final ne s'inéresse pas vraiment à notre héros car il désire la petite amie de celui-ci.

D’un point de vue mise en scène, Romero clive d’abord nettement le monde d’Allan, paralysé, dont la vision nous est montrée par des plans fixes et celui du capucin, dont l’agitation et la vivacité sont traduits par des mouvements de caméra rapides qui singent le regard de l’animal. Mais petit à petit il y a une contamination du monde d’Allan par celui d'Ella qui finira par prendre le dessus. Les plans rapprochés sur Allan qui au départ suscitent l’empathie du spectateur finissent par l’isoler, le laissant à la merci du singe, par l’intermédiaire duquel Allan peut échapper à sa paralysie. Le montage devient alors de plus en plus rapide jusqu’au paroxysme final.
On pourra regretter une fin imposée par le studio Orion, financier du film, à la merci duquel Romero se trouvait lors du tournage et qui est un peu « light » au vu des enjeux présentés par le réalisateur. Un excellent film que nous conseillons vivement aux admirateurs de Romero et bien au-delà.

Mad Will - L.S. (pour Incidents de parcours) - T.K. (pour Creepshow)

Retrouvez la fin de notre dossier sur George Romero ce samedi !