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Shocker est une œuvre inégale à l’image de la carrière de son réalisateur Wes Craven , capable de signer de mémorables films d’horreur devenus des références de la culture populaire comme Scream ou Freddy mais aussi de très mauvais longs-métrages d’exploitation tels que La colline a des yeux 2 ou L'Amie mortelle. À l’aube des années 90, après de nombreux échecs au box-office, il lancera le projet Shocker pour montrer aux studios sa capacité à proposer une nouvelle franchise du cinéma d’horreur.

Mais que raconte Shocker ?

Une série de meurtres horribles épouvante la population d'une petite ville américaine. Sept familles tranquilles ont déjà été décimées par un tueur sanguinaire et aucun indice particulier ne permet de faire avancer les recherches. Jonathan Parker, le fils adoptif du policier chargé de l'enquête, rêve que le tueur massacre toute sa famille d'origine. Peu après, son cauchemar se réalise effectivement. Dans un premier temps, son père adoptif refuse d'accorder foi à sa prémonition. Mais lorsque l'adolescent voit dans un nouveau rêve le camion du tueur, avec ses nom et adresse, le lieutenant Parker commence à lui prêter une oreille plus attentive...

Quand Craven tourne Shocker , sa créature Freddy lui a depuis longtemps échappé. Son croquemitaine est à présent un monstre gentillet qui multiplie les calembours dans des suites de films de plus en plus anonymes. Son tueur d’enfants fait même le présentateur dans un show télévisuel intitulé Freddy, le cauchemar de vos nuits ! Avec l’aide de la société indépendante Carolco, Craven lance le projet Shocker afin de créer une nouvelle figure de croquemitaine capable d’attirer les foules. Pour incarner son nouveau tueur censé terrifier nos nuits, il choisit Mitch Pillegi qui sera connu quelques années plus tard comme le supérieur de Mulder et Scully dans X-Files.

Si le regard des critiques sur Wes Craven a changé à partir de Scream, Shocker fut considérée à l’époque comme un simple produit d’exploitation malgré les tentatives audacieuses de son auteur pour déconstruire le genre qu’il avait lui-même en partie créé : le film de croquemitaine. Craven va commencer son long-métrage comme le premier Freddy Krueger, en nous donnant à voir le tueur sur son lieu de travail avant de nous dévoiler le quotidien de son héros adolescent victime de cauchemars. Mais très vite, le cinéaste se décide à tuer la petite amie et la famille adoptive du héros. Il détruit ici la cellule familiale avec un certain sadisme normalement absent de ce type de divertissement pour adolescents. Mais surtout, il va changer de genre cinématographique au bout d’une demi-heure de film. Shocker devient alors un film d’action fantastique employant les codes du film de possession extraterrestre à la Hidden ou L’Invasion des profanateurs. Soyons francs, le changement de ton est brutal même s’il est amené par l’intermédiaire de l’exécution sur la chaise électrique du méchant. De toute façon, Shocker multiplie les ruptures de ton parfois surprenantes comme lorsqu’il empreinte au mythe arthurien au détour d’une séquence horrifique pour nous faire apparaître la défunte petite amie en mode « Dame du Lac ». Dès son premier film La Dernière Maison sur la gauche, Wes Craven démontrait déjà une certaine tendance à flirter avec le grotesque. Dans Shocker , il met carrément en scène une petite fille qui se met à vociférer et cracher par terre avant de se décider à conduire une tractopelle pour aller tuer le héros.

Mais surtout  le plus inattendu dans Shocker est son final où le tueur Peakman envahit les ondes de la télévision. Le film devient alors une sorte de Bip Bip et Coyote en mode MTV (la chaine de clips de l’époque) où le réalisateur américain tire à boulets rouges sur la télévision. Cette dernière partie de Shocker montre que Craven a bien conscience de l’évolution du genre horrifique qui est devenu un produit inoffensif, régressif et pensé pour des enfants abreuvés de télévision. L’usage d’images basses définitions dans son montage signifie alors que la petite lucarne a imposé au cinéma une manière de filmer totalement anonyme et sans envergure.

Alors soyons francs, Craven ne réussit pas forcément tout ce qu’il tente. Si le réalisateur signe parfois des séquences impressionnantes, comme le premier meurtre vu en rêve par notre héros ou la scène de la chaise électrique, d’autres moments-clefs du film comme le suicide du prof de sport semblent venir des séries Z que Charles Band produisait à tour de bras avec sa firme Empire. De la même manière, les effets spéciaux censés rendre plausible la transformation du tueur en spectre hantant les télévisions de la ville sont assez désastreux. Mais je ne peux m’empêcher d’aimer le film, car Shocker nous interroge sur nos attentes de spectateurs. Préférons-nous aller voir un film qui prend des risques, innove parfois et flirte avec le ridicule ou des longs-métrages construits selon des formules validées par les réseaux sociaux et dont la réussite technique efface toute trace d’humanité ? Pour ma part, le succès actuel de Disney témoigne de la volonté du public de voir toujours la même chose. Le cinéma ne prend plus jamais de risque et se borne à produire des franchises et des remakes.

Ce Shocker est réellement un film malade, pas toujours bien écrit et maîtrisé mais qui tire sa singularité de la personnalité de son auteur et surprend même s’il ne convainc pas forcément. C’est une œuvre humaine forcément imparfaite par rapport aux desiderata des services marketing.
Shocker est réellement un film à revoir à notre époque où les plus grands succès semblent nous condamner à regarder en salles un cinéma devenu lisse : un septième art où les doutes du réalisateur sont définitivement remplacés par une série d’algorithmes produits par le service marketing ou une quelconque intelligence artificielle.

Shocker est définitivement un film à découvrir ou redécouvrir.

Mad Will

Le film est disponible sur Amazon Prime : https://www.primevideo.com/detail/Shocker/0I9Y6V07JVWPXN3LKNLNJXP5LG?_encoding=UTF8&language=nb_NO