Chacun Cherche Son Film s’est rendu au Festival de Cannes pour un passage express mais intense. Voici un résumé ce que l’on a fait, vu et aimé.

Mercredi 22 mai :

Matthias & Maxime

Départ de bonne heure, 7h19, et ravis d’arriver juste à temps pour la première de Matthias & Maxime, le dernier Dolan en compétition officielle. Il y a déjà dix ans que le prodige québécois faisait sa première entrée à Cannes (à la Quinzaine des réalisateurs) avec J’ai tué ma mère avant de devenir un habitué du tapis rouge puisqu’il y a depuis présenté tous ses films (sauf Ma vie avec John F. Donovan ), dont deux en sélection officielle. Cette troisième sera t-elle la bonne ? Alors on peut déjà vous dire que non, puisque à l’heure où vous lirez ces lignes le palmarès aura déjà été annoncé, et parce que, le film, même si on l’adore, n’annonce rien de nouveau sous le soleil cannois et réduit de ce fait ses chances de convaincre le jury (présidé, rappelons le, par Alejandro González Iñárritu). Après le terrible échec de John Donovan (330 000 entrées en France et pas de dates de sortie dans le reste du monde), Xavier Dolan a opéré un retour aux sources, avec un “petit” film, sans stars (si ce n’est lui dans le rôle principal), tourné chez lui, à Montréal, avec des proches collaborateurs. Il y est toujours question de mère à tuer, de père absent, d’hétérosexualité dominante, d’homosexualité refoulée, de tubes des années 90 et surtout d’amour fou.

À cause d’un pari perdu, deux amis d’enfance s’embrassent longuement pour les besoins d’un film. Suite à ce baiser “pour de faux”, les sentiments se dévoilent pour de vrai, mais Matthias est fiancé à une femme et Maxime s’apprête à partir en Australie pour deux ans.

 

Matthias et Maxime© Shayne Laverdiere

 

Parasite

A peine le temps de ranger son mouchoir (Dolan nous a laissé avec la chanson la plus triste du monde) qu’il faut se précipiter pour espérer pouvoir assister à la dernière projection de Parasite de Bong Joon-ho. Dans la file d’attente c’est la guerre, une anglaise de quatre-vingt ans met en place une technique de fraude des plus originales (et violentes) : s'agripper aux sacs à mains des braves gens qui attendent pour les empêcher de s’engouffrer dans la salle. Pourquoi pas. Cinq coups de coudes et quelques insultes plus tard, nous arrivons bien remontés à la séance et le combat valait le coup. Bong joon-ho est tout simplement le plus génial, malicieux et intelligent de nos contemporains, et Parasite sans doute son meilleur film à ce jour, et qui a bien mérité sa palme d’or. Parasite dénonce les inégalités sociales en Corée à travers deux familles opposées dans une fable féroce, un thriller haletant incroyablement mis en scène (cette séquence d'inondation !!). Notre critique ici . Et, bonne nouvelle,  le film sort en salle mercredi prochain !

Jeudi 23 mai

Sea, Sex Sex Sex Sex Sex and Sun sur la Croisette ! Abdellatif Kechiche et la bande de Sète ont débarqué pour présenter la suite de Mektoub my Love : Canto Uno , intitulé sobrement Intermezzo. Les rumeurs sont folles, les Français s’échauffent et les Américains s’offusquent, le film s’annonce chaud comme la braise. Pour faire retomber la tension en attendant 22h, rien ne vaut un bon Arnaud Desplechin tourné dans le Nord.

Roubaix, une lumière

Etrange d’objet que nous sert Arnaud Desplechin, dans ce qu’il a justement -aux premiers abords- de très classique. Avec un fait divers de 2002 pour point de départ (une vieille dame assassinée à Roubaix), le film est en grande partie tourné au commissariat de police local, dirigé par Daoud (Roschdy Zem), où s’enchaînent les interrogatoires. Une voiture brûlée, une jeune fille fugueuse, un viol… Daoud et son équipe règlent les affaires courantes et Desplechin échafaude sa chronique sociale. Parmi ces intrigues, le meurtre de la vieille dame prend le dessus et l’étau se resserre autour de ses principales suspectes, Marie et Claude, alias Sara Forestier et Léa Seydoux, très convaincantes. Le film s’oppose au cinéma habituellement très littéraire, parfois trop bavard d’Arnaud Desplechin en reconsidérant la place de la parole et des mots, devenus purement nécessaires (on sait combien la police insiste sur la précision des termes d’une déposition). Ce changement de registre assez radical n’ôte pas les grandes qualités à son réalisateur qui porte un regard lumineux et mélancolique sur sa ville natale.

© Shanna Besson

 

Mektoub My Love

"Intermezzo" désigne au théâtre un intermède musical entre deux actes. Puisque le troisième volet de Mektoub My Love serait déjà tourné, le titre semble approprié : Abdellatif Kechiche filme, pendant près de 2h45 (sur 3h30 de film au total) Ophélie, Tony, Céline, Amine, Camélia et une nouvelle arrivante, Marie, se déhanchant sur le dancefloor d’une boite de la Grande-Motte au son techno de l’année 1994. Les rumeurs avaient raison, Kechiche s’attarde (très) longuement sur les derrières de ces dames et impose une scène de sexe non simulée d’une quinzaine de minutes. Et alors ? Pas de quoi quitter nerveusement la salle et tweeter au scandale comme l’ont fait les trois quarts de l’assemblée. Le film parle de désir, de sexe, d’une nuit électrique estivale, alors oui, cela peut passer par des fesses, des corps suintant et le verre de trop. Mais filmer un corps de femme dans des poses suggestives n’est pas obligatoirement lui manquer de respect et le réduire à un objet de consommation. Les héroïnes d’Abdellatif Kechiche sont des reines, sublimes et déterminées qui font passer leur plaisir avant ceux des hommes. Sinon, au niveau de la forme, c’est encore informe puisque la version présentée à Cannes venait tout juste d’être finie de monter, sans générique, ni mixage ni étalonnage, mais avec faux-raccords et incohérence dans le récit. Une pièce unique donc, qui donne encore plus la sensation d’avoir assisté à une projection historique puisque le film ne sera jamais remontré tel quel. On en est sorti fébrile à 1h30, mais avec l’irrémédiable envie de danser.

 

Vendredi 24 mai

Zombi Child

La troisième journée cannoise commence avec Bertrand Bonello, invité par la Quinzaine des Réalisateurs à présenter son huitième long métrage Zombi Child. Contrairement à The dead don’t die, les revenants ne sont pas ici prétexte à la bouffonnerie mais à l’onirisme. Mélissa, jeune immigrée haïtienne et élève au prestigieux pensionnat de la Légion d’honneur de Paris vit avec le souvenir de son grand-père à l’histoire très particulière. Faussement déclaré mort à Haïti dans les années soixante, ce certain Clairvius Narcisse (dont l'histoire “vraie” était déjà le thème de L’Emprise des ténèbres de Wes Craven) a raconté avoir été déterré puis drogué pour être transformé en zombie et réduit en esclavage. Ce récit impressionne énormément les camarades de Mélissa, en particulier Fanny qui commence à s'intéresser à la culture vaudou dont ces zombies font partie. Bertrand Bonello met en parallèle le monde contemporain de lycéennes modernes (fan de Damso et de Citadium) avec les rituels et croyances traditionnelles d’Haïti, offrant comme d’habitude un regard étrange et fascinant sur la jeunesse et ses troubles.

 

Sibyl

Quelle émotion de voir Justine Triet, les larmes aux yeux et enceinte jusqu’au cou monter les marches rouges du Grand théâtre de Lumière. Accompagnée de ses acteurs et actrices, c’est elle qui clôt cette belle compétition avec Sibyl, une comédie dramatique que nous avons adoré et dont on vous parle plus en détails ici . Le film est en salle et on vous le conseille très vivement.

 

L’heure du bilan

C’est déjà la fin de ce festival de Cannes que les critiques s’accordent à dire millésimé, et, du peu que l’on en a vu, on est complètement d’accord. Vivement les sorties en salles pour découvrir Les Misérables de Ladj Ly, (Prix du jury) Atlantique de Mati Diop,(Grand prix du jury) Une fille facile de Rebecca Zlotowski, Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, (Prix du scénario - Sortie prévue le 18 septembre) et pour ne pas se contenter de la France (très récompensée cette année), Once upon a time in Hollywood de Quentin Tarantino, It must be heaven de Elia Suleiman (Mention spéciale) ou encore Bacurau de Kléber Mendonça Filho. (Prix du jury - Sortie prévue le 25 septembre) Pour les impatients, à noter que deux autres films cannois sont actuellement en salle : Douleur et Gloire de Pedro Almodovar, (Meilleur interprète masculin pour Antonio Banderas - Notre critique ici ) et Le Jeune Ahmed de Jean-Pierre et Luc Dardenne, Prix de la mise en scène. (Notre critique ici )

Suzanne Dureau