Les héritières n'est pas qu'un simple portrait de femme. En effet, Marcelo Martinessi parvient à faire du personnage principal du film, Chela (interprétée par Ana Brun, proclamée Meilleure Actrice au festival de Berlin 2018),  l’actrice d’une chronique sociale et politique inscrite dans l’actualité de son pays natal, Le Paraguay. Un film complexe, empli de nostalgie et admirablement porté par une multitude de personnages féminins tous très fouillés.

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La critique :

Chela et Chiquita, deux sexagénaires, vivent ensemble dans une belle demeure au Paraguay. Criblées de dettes, elles se séparent peu à peu d’objets de valeur transmis par héritage, jusqu’à ce que cela ne suffise plus et que Chiquita soit envoyée en prison pour une durée indéterminée.

Après le départ de sa compagne, Chela affronte la solitude que ne suffit pas à combler les visites qu’elle est autorisée à faire à Chiquita en prison. Alors, lorsqu’une voisine lui demande de l’accompagner en voiture chez une amie, Chela accepte sans hésiter. Rapidement, elle prend l’habitude de rendre ce service (moyennant finance) à sa voisine avec qui elle se lie même d'amitié. La nouvelle se répand et plusieurs femmes font appel à Chela pour effectuer leurs petits trajets en voiture. Parmi elles une femme plus jeune et plus moderne, Angy, la sollicite pour amener sa mère à l’hôpital une fois par semaine. Même si cela nécessite de prendre l’autoroute et que Chela reste une conductrice peu rassurée (et accessoirement non détentrice du permis de conduire), elle s’en réjouit et la mission prend des airs de défi et de transgression.

Aux côtés d’Angy, la discrète et mutique Chela se réveille, se révèle, jusqu’à s’offrir une renaissance : première cigarette, lunettes noires, hot-dog à minuit… l’âge ne semble plus être un obstacle à la vie, qui se réduisait jusque-là à la torpeur d’une maison froide car dépouillée de ses biens symbole d’une classe sociale sur le déclin. Comme ses petites copines, des mémés rabougries et privilégiées (au demeurant très sympathiques et amusantes), Chela et Chiquita appartiennent à une bourgeoisie paraguayenne traditionnelle, raffinée, qui disparaît au profit de nouveaux riches vulgaires et opportunistes (représenté ici par l’un des rares personnages masculin, Carlos, le petit ami d’Angy). Si Chiquita semble  insouciante et toujours grande actrice de son monde, Chela est une femme préoccupée par son corps qui vieillit et son train de vie qui s’écroule. Elle voit chez Angy une promesse inespérée, celle de pouvoir retomber amoureuse. Car si le réalisateur Marcelo Martinessi aborde avec pudeur l’homosexualité, c’est bien aussi d’une histoire d’amour très forte dont il est question dans Les Héritières.

A la manière de son voisin et homologue brésilien Kleber Mendonça Filho, Marcelo Martinessi ne réduit pas son film à un simple portrait de femme (certes magnifique et méticuleux) mais parvient à faire de sa protagoniste (ici Chela; Clara dans Aquarius) l’actrice d’une chronique sociale et politique de son pays natal. À ce titre, Les Héritières devient complexe, empli de nostalgie et pourtant inscrit dans l’actualité. De plus ce film est admirablement porté par une multitude de personnages féminins tous très fouillés (comme Pati, la domestique de Chela, un superbe rôle secondaire) et impeccablement interprétés. On retiendra bien sûr plus que tout la prestation d’Ana Brun, proclamée Meilleure Actrice au dernier festival de Berlin, bouleversante dans le rôle de Chela.

Suzanne Dureau

La bande annonce :

 

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