Doctor Who n'est pas une simple série, c'est une institution made in England, un monument de science-fiction qui a duré pendant 26 saisons de 1963 à 1989 et qui a connu dans les années 60 des déclinaisons au cinéma avec Peter Cushing. Cette série raconte les voyages d’un seigneur du temps (habitants de la planète Gallifrey), appelé le Docteur qui voyage à travers l’espace et le temps avec son vaisseau le Tardis qui ressemble à une cabine de téléphone (une cabine de police plus exactement). Quand le docteur est blessé mortellement, il se régénère et change d’apparence et de personnalité.  Dans les années 90, malgré son absence sur la petite lucarne, la série continuera à être portée et plébiscitée par une communauté de fans. La BBC songera alors à s’allier avec les USA pour concevoir un téléfilm. Ce « pilote » qui a les honneurs d’une diffusion sur la Fox aurait pu permettre de lancer une nouvelle série des deux côtés de l’Atlantique. Cette initiative d’américanisation d’un héros typiquement anglais se plantera aux USA et Doctor Who disparaîtra jusqu’à son retour triomphal en 2005 sur la BBC avec à la baguette Russell T Davies, le scénariste de la série Queer as Folk, qui avait révolutionné l’audiovisuel anglais un peu trop prude dans les années 90 en mettant en scène des homosexuels.

Je vous propose de revenir sur 10 épisodes cultes de la série depuis son retour sur les écrans en 2005. Cette sélection est totalement subjective, ne soyez pas déçu si vous ne retrouvez pas votre épisode préféré !

SAISON 1

On n’imagine pas la tâche accomplie par Davies dans ce retour sur la BBC. Il su habilement rester fidèle à l’esprit d’une série qui datait de plus de 40 ans tout en essayant de la moderniser pour un public contemporain dont les plus jeunes spectateurs n’avaient jamais vu de Doctor Who.  Le showrunner (scénariste en chef chargé de superviser l’arc narratif et de faire les choix artistiques) va faire du Docteur un personnage solitaire et meurtri, qui a dû sacrifier une partie de son peuple pour sauver l’univers. Dans les épisodes antérieurs, le Docteur s’apparentait à une sorte de touriste de l’espace. En dramatisant les origines de son personnage, Davies humanise son héros et facilite l’identifaction à un personnage extrêmement puissant dont les pouvoirs et l’intelligence auraient pu créer une distance avec le spectateur. De même, fini les looks bariolés et british, le nouveau docteur de 2005 est interprété par l’excellent Christopher Eccleston qui adopte une veste en cuir des plus contemporaines. L’acteur révélé par Petit meurtre entre amis se révèle excellent, humanisant beaucoup le personnage. Son interprétation tout en retenue a permis de rendre familier un personnage d’extraterrestre qui se promène en cabine bleue.

 

SAISON 1

La Fin du monde (épisode 2 / saison 1)

Sans vous refaire tout le film de ma vie, je peux vous indiquer que j'ai regardé les Doctor Who après une fracture au pied qui m’a immobilisé trois semaines dans les années 2000. Je cherchais à ce moment-là, une série à regarder. Fan de SF et de fantastique, j’avais plusieurs fois entendu parler de ce personnage légendaire de la télévision anglaise. Pour autant, j'avais essayé de visionner quelques épisodes de la saison 2 sur France 4, mais un doublage catastrophique et une image atrocement zoomée m'avaient refroidi (France 4 diffusant en 4/3, la chaîne zoomait les épisodes qui étaient filmés en 16/9). Je récupérais quand même la première saison en VOST et je me lançais dans la série. Après un premier épisode gentillet, mais qui ne m’avait pas convaincu, je me regardais le second en me disant que de toute façon avec mon pied, j’avais du temps à perdre. La Fin du monde fut un coup de coeur. La série malgré des SFX rudimentaires m'offrait de vrais concepts de science-fiction  en me montrant les dernières heures de notre planète bleue qui devenaient un spectacle pour des extraterrestres. Je fus happé par ce mélange d'humour (cette peau tendue qui cristallise toute la futilité humaine) et de tragique propre à l'époque Davies. Personnages hauts en couleur, science-fiction intelligente et originale qui n'imite pas Star Wars. J'étais sous le charme et je devenais un fan de Doctor Who.

Dalek (épisode 6 / saison 1)

Russell T Davies arrive au milieu de sa première saison et doit nous introduire les ennemis intimes du Docteur  : Les daleks. Ces créatures inspirées par les nazis adoptent la forme d’une poivrière dans les anciens épisodes. Le scénariste sait que les vieux fans sont attachés aux daleks mais que leur design pourrait enclencher des rires de la part du public. Avec son équipe, il va arriver avec beaucoup de talent à nous introduire ces personnages en n’en faisant pas d’eux des méchants caricaturaux, mais des êtres qui peuvent aussi souffrir. L’épisode distille une ambiance tragique avec ce dernier Dalek désespéré qui n’a plus de champ de bataille ou de guerre à mener. C’est l’occasion pour la série de nous dévoiler un Docteur plus ambigu, dont l’esprit est tourmenté par les guerres.  La série nous informe que la présence de terriens à ses côtés est une manière pour lui de conserver son humanisme. Un épisode magnifique, qui arriverait à vous faire pleurer sur un bout de latex caché dans une poivrière. C’est ça, la magie Doctor Who !

SAISON 2 ET 3
Ces saisons 2 et 3 imposent la nouvelle série Doctor Who dans le PAF anglais. Sous la houlette de Davies, on retrouve comme scénaristes les futurs créateurs de Sherlock, Mark Gatiss et Steven Moffat, mais aussi Chris Chibnall (le créateur de Broadchurch) ou Paul Cornell (scénariste de BD). Davies a trouvé la perle rare avec son nouvel interprète de Doctor Who qui va beaucoup aider au succès de la série. David Tennant, éminemment membre de la Royal Shakespeare Company, est un effet spécial à lui tout seul. Il est un immense acteur qui va créer un personnage de Doctor Who tellement marquant que ses successeurs seront toujours jugés par rapport à lui. Il fait de son personnage une sorte de Peter Pan sautillant, allègre, effronté, et souvent impitoyable.

Gridlock (épisode 3 / saison 3)

Un scénario où une ville entière vit dans un embouteillage sans fin. Une idée que n’aurait pas renié Jean Yanne qui signa un livre de science-fiction appelé L'Apocalypse est pour demain ou les Aventures de Robin Cruso. Un épisode original qui prouve que les idées valent bien plus que des millions de dollars comme avec ces créatures en forme de crabe qui vivent sur la bande d’arrêt d’urgence. Un épisode à l’image d’une troisième saison presque parfaite de Doctor Who qui ne compte pas vraiment d’épisodes mineurs. Une galerie de personnages bien écrite, un concept original, une mise en scène haletante, un message écologique jamais trop appuyé. La quintessence d’un bon épisode Doctor Who qui peut sembler foutraque au premier abord mais qui se révèle profondément inventif et admirablement bien construit.

Human Nature / The Family of Blood (épisode 8 et 9 / saison 3)

Attention chef-d’œuvre avec ce double épisode qui reste l’une des références de la série depuis sa création dans les années 60. Devenu amnésique, le Docteur se retrouve dans la peau d’un professeur à l’aube du vingtième siècle, dans un établissement privé alors qu‘une famille d’aliens belliqueuse le poursuit.  L’épisode nous donne à voir un personnage complexe, à qui la solitude pèse lourdement. Admirable construction dramatique, et critique du racisme avec Martha qui accompagne le docteur et qui est sous-considérée en raison de sa couleur de peau. Un scénario truffé d’idées extraordinaires comme cette montre que l’on retrouvera dans le final de la saison. Un héros jamais manichéen, comme le montre le châtiment final qu’il inflige à ses poursuivants. Doctor Who, un homme comme les autres malgré ses deux coeurs ? En tout cas, Human Nature  et The Family of Blood sont à voir absolument.

Blink (épisode 10 / saison 3))

Blink a obtenu la note presque maximum de 9,8 sur IMDB. Écrit par Steven Moffat, cette histoire a gagné le Hugo Award for Best Dramatic Presentation, Short Form et deux Baftas (prix de la télévision anglaise).
Un épisode où l’on voit rarement le docteur et qui met en scène la toute jeune Carey Mulligan qui fera ensuite une jolie carrière à Hollywood. Blink est un travail d’orfèvrerie qui prouve que Moffat, quand il le veut, est un scénariste extraordinaire comme le prouve son magistral Un scandale à Buckingham pour sa série Sherlock. Un puzzle temporel admirablement bien construit, un récit qui fait autant peur qu’il émeut et qui repose sur un high concept simple : une statue est une créature extraterrestre qui s’anime quand on ne la regarde pas. Un épisode dont la maîtrise est telle que je l’utilisais comme appât pour donner envie aux gens de regarder Doctor Who. J’ai ainsi converti beaucoup de personnes à la série grâce à Blink. Ce n’est pas seulement l’un des meilleurs épisodes de Who, mais c’est tout simplement l’une des meilleures histoires de science-fiction de ces dernières années !

SAISON 4

Turn Left (épisode 11)

Un autre épisode référence qui vient cette fois-ci de la quatrième saison qui sera la dernière de Russell T Davies.  Un segment à petit budget qui montre que le fantastique n’est pas une question de dollars, mais avant tout d’inventivité. Un récit qui part sur le principe du « mais si » où un insecte capable de modifier le temps infecte Donna qui est la nouvelle héroïne aux côtés de Who.  Nous découvrons alors ce que serait devenue la terre sans l’intervention de notre seigneur du temps préféré. Invasions extraterrestres, système politique qui devient totalitaire, l’humanité n’est pas présentée sous son meilleur jour avec l’évocation de camps de concentration pour les migrants. Catherine Tate qui porte tout l’épisode sur ses épaules est au sommet de son art dramatique, un épisode grandiose qui parle tout le temps du docteur sans jamais le faire intervenir directement. Un classique de la série tout simplement.

 

STEVEN MOFFAT AUX COMMANDES

Après 4 saisons et quelques épisodes spéciaux, Russell T Davies tire sa révérence et adoube son successeur Steven Moffat qui a signé plusieurs perles de la série quand Davies était showrunner. La cinquième saison verra l’arrivée d’un nouvel acteur, Matt Smith, le plus jeune interprète du célèbre extra-terrestre. Moffat va s’occuper de la destinée du personnage pendant 5 saisons. Sa fin de règne avec l’arrivée de l’excellent Peter Capaldi comme nouvel interprète du seigneur du temps mécontentera certains fans.
Steven Moffat est un scénariste doué dont l’univers est proche du conte de fées. C’est aussi un grand feuilletoniste aimant proposer des récits enlevés qui multiplent les rebondissements parfois jusqu’à l’écoeurement. Ses cinq saisons en tant que showrunner, nous fourniront d’excellents épisodes. Pourquoi alors tant de fans ont souhaité son départ ?
Moffat est amateur de jeux de narration sophistiqués et il a eu trop tendance à privilégier l’aspect ludique de l’écriture par rapport à la psychologie des personnages. Ainsi, les compagnons du Docteur, que ce soit Amy Pond ou Clara, sont devenus des effets de scénario au détriment d’une réelle psychologie. De plus, Moffat ne s’occupait peu ou pas des épisodes qu’il n’écrivait pas lui-même. Un showrunner sur une série est scénariste en chef qui doit gérer l’ensemble des épisodes et vérifier la continuité. Laissant ses scénaristes en totale autonomie, ses saisons de Who peuvent manquer d’unité.
Enfin, l’auteur use et abuse des deus ex machina. Il construit des intrigues compliquées qu’il a tendance à solutionner avec un effet de réinitialisation. Certains spectateurs ont fini par se désintéresser de la destinée du Docteur, sachant pertinemment que Moffat userait d’un retournement scénaristique lié aux paradoxes temporels pour régler la situation.
Pour autant, il est évident que Moffat sera regretté tant son imagination sans limites faisait aussi l’originalité de la série par rapport aux fictions américaines qui réemploient toujours les mêmes clichés de la science-fiction ou du fantastique. De même, son goût pour les récits haletants changeait des séries Netflix où il faut 10 épisodes pour faire avancer dans le récit. Au moment où la saison 11 commence, et que d’épisode en épisode, certains commencent à mi-mot à regretter Moffat, son héritage controversé finira peut-être par être revalorisé.

Le Seigneur des Rêves (épisode 7 / saison 5)

Un épisode très anglais dans son ambiance qui m’a rappelé Le Prisonnier ou Chapeau melon et bottes de cuir. Une vraie étrangeté se dégage de cette campagne anglaise en proie à une menace gériatrique.
Porté un excellent Toby Jones en seigneur de rêve qui représente la part la plus sombre de l’inconscient du docteur, cette aventure est une plongée dans la psyché d’un héros qui n’est définitivement pas manichéen. Karen Gillan et Arthur Darvill,  le jeune couple qui accompagne le docteur sont également très bons. C’est un épisode souvent peu considéré, mais le temps aidant, il laisse une très bonne impression.

The Doctor's Wife (épisode 4 / saison 6)

Doctor Who revu par l’écrivain Neil Gaiman connu pour Sandman en comics ou Good Omens qui arrivera sur Amazon Prime en janvier. L’écrivain a commencé à échanger avec Moffat sur la possibilité d’écrire une histoire depuis l’arrivée de celui-ci aux commandes de la série. Son épisode se concentre sur le Tardis, la cabine bleue qui sert de vaisseau à notre seigneur du temps préféré. Gaiman, grâce à une planète littéralement vivante va mettre en scène un dialogue savoureux entre le Docteur et le Tardis qui s’est incarné dans le corps d’une femme.  Avec un scénariste moyen, le script aurait pu tomber dans le ridicule, mais Gaiman arrive à créer un drame touchant. Il nous fait comprendre par les dialogues que la machine joue un rôle essentiel depuis longtemps dans l’histoire de la série, en choisissant la plupart du temps les endroits où le docteur s’arrête dans l’espace ou le temps. Il enrichit ainsi la mythologie d’un héros apparu dans les années 60, en nous faisant comprendre que le Tardis a choisi le Docteur pour le diriger.
Un excellent épisode tout simplement.

Heaven Sent (épisode 9 )

Mon épisode préféré de Doctor Who qui se trouve être écrit par Steven Moffat et qui met en scène comme seul acteur Capaldi, le nouveau visage du Docteur. Les deux bonshommes collaborent ici à un chef-d’oeuvre de la science-fiction. Capaldi pourtant décrié par certains, offre une prestation de haut vol qui montre bien l’immense acteur qu’il est. Le scénario fait référence au conte Petit Pâtre des frères Grimm. Une réalisation sublime, une bande-son magnifique, un script où chaque élément n’est jamais là par hasard. Moffat fait preuve d’une rigueur rare et l’épisode est passionnant de bout en bout. C’est aussi l’une des rares fois où l’on craint véritablement pour la vie du docteur alors que d’habitude, on devine qu’une boucle temporelle le délivrera. Le meilleur épisode toutes saisons confondues.

Mad Will