Disney n’a pas toujours été cette société aseptisée produisant à la chaîne des films souvent anonymes, inoffensifs, et horriblement calibrés. Je vous propose aujourd'hui de revenir à une époque pas si éloignée, où la firme, après la mort de son fondateur, cherchait à se réinventer tout en faisant face à l’arrivée des Spielberg et autres Lucas. 

Je vous ai donc préparé une liste de 5 films produits entre la fin des années 70 et le début des années 80 qui témoignent de la volonté de ce géant du cinéma et de l’animation de proposer des divertissements plus adultes. Cette période où l'entreprise prenait des risques (que je nommerai « Dark Disney ») prendra fin après l’éviction de Ronald William Miller de la présidence du groupe. En effet, des risques d’OPA lui feront perdre sa place au profit du plus formaté Michael Eisner. De cette époque bénie, il nous reste une poignée de réalisations qui ne sont jamais évoquées par la firme aux grandes oreilles et qui méritent pourtant d’être redécouvertes.

La Foire Des Ténèbres de Jack Clayton

La Foire des ténèbres est une adaptation signée Ray Bradbury de son propre roman et qui est réalisée par Jack Clayton connu pour Les Innocents, Gatsby le magnifique ou Chaque soir à neuf heures. Le film met en scène une étrange foire ambulante qui débarque pendant la fête d'Halloween et qui est dirigée par un certain Mr. Dark. Deux enfants, Jim et Will vont devoir affronter cet étrange personnage qui s’attaque aux habitants de la ville.

Certaines scènes restent impressionnantes 30 ans après dans leur gestion de la tension. Je pense particulièrement à celle où les enfants sont cachés dans les égouts alors que M. Dark les traque dans la ville. Ombres menaçantes, gestion claustrophobe de l’espace par l’entremise de surcadrages, le cinéaste manie l’angoisse avec aisance . La Foire des Ténèbres propose également une réflexion inattendue sur la famille. En effet, le film traite de l’angoisse d’un père qui culpabilise de son âge avancé et s’imagine incapable d’élever son fils. Il se trouve trop lent, trop chétif, trop intellectuel, et pense ne pas correspondre au père normé (des productions Disney habituelles) qui joue au foot et protège son enfant grâce à sa force physique. Si Clayton adopte le point de vue des enfants dans son film, c’est pour montrer avec subtilité que le monde des adultes est synonyme de lâcheté et de compromission.

Une petite merveille à découvrir. Un Disney assez sombre à voir à partir de 9 -10 ans avec les parents !

Le film en import sur Amazon : https://www.amazon.fr/Something-Wicked-This-Comes-Zone/dp/B0001I55U6/ref=sr_1_1?s=dvd&ie=UTF8&qid=1538484457&sr=1-1&keywords=la+foire+des+t%C3%A9n%C3%A8bres

Bande-annonce VO : https://www.youtube.com/watch?v=Up7KHbJTmoo

Les Yeux de la forêt de John Hough

C’est sûrement le long-métrage le plus horrifique de cette sélection. Ne vous attendez tout de même pas à un film de Tobe Hooper en mode Massacre à la tronçonneuse, mais l’ambiance du film est vraiment pesante pour un Disney qui raconte quand même un rapt d'enfant. Le film s’appuie sur un scénario cosigné par Brian Clemens (Chapeau Melon et bottes de cuir ou Capitaine Kronos, tueur de vampires pour la Hammer).

Pour appréhender ce long-métrage, il faut l’imaginer comme une version crépusculaire du Club des cinq d’Enid Blyton. Le film a fortement marqué ses jeunes spectateurs de l'époque qui ne s’imaginaient pas aller voir une histoire aussi sombre. Les productions Disney étaient alors synonymes de divertissements familiaux gentillets. Côté interprétation, nous retrouvons la magistrale Bette Davis qui imprègne littéralement la pellicule, rappelant à Hollywood d'alors que le talent ne disparaît pas derrière les rides. Quand on redécouvre le film, on est saisi par la modernité des mouvements de caméra dans la forêt brumeuse. Ils annoncent en effet l'Evil Dead de Sam Raimi à venir. Le film est un petit classique de l’épouvante grâce une séquence culte magnifiquement photographiée qui met en scène l’héroïne du film. Elle se regarde dans un miroir et entraperçoit alors dans un éclat de verre, une jeune fille aux yeux bandés prisonnière du reflet et qui l’appelle au secours.

Malheureusement, Les yeux de la forêt est aussi une œuvre mort-née qui a été rejetée par la presse américaine lors d’une projection publique alors que le film n'était même pas finalisé. Disney prend peur et se débarrasse du réalisateur John Hough (ancien de la Hammer lui aussi) et fait réécrire une nouvelle fin plus orientée SF.  Mauvais choix, car cette nouvelle conclusion n’est guère convaincante. Néanmoins on peut trouver dans certaines éditions DVD actuelles, la fin voulue et recrée par Hough qui résout le film d’une façon plus horrifique. (La fin alternative : https://www.youtube.com/watch?v=Bkpf2IzmMVg)

Une oeuvre adolescente typique du « Dark Disney »  qui possède beaucoup de charmes et que je vous invite à découvrir.

PS : Il existe un remake du film dont les avis sont catastrophiques.

Le film en import sur Amazon : https://www.amazon.fr/Yeux-de-foret-DVD-Blu-ray/s?ie=UTF8&page=1&rh=n%3A405322%2Ck%3ALes%20Yeux%20de%20la%20foret

La bande-annonce française : https://youtu.be/0zjiWqsakio

Oz Un Monde Extraordinaire de Walter Murch

Attention il ne faut pas confondre Oz Un Monde Extraordinaire avec le très moyen Le Monde fantastique d’Oz de Raimi en 2013  !

Cette suite tardive du Magicien d’Oz est totalement inconnue alors qu'elle compte dans son équipe technique des grands noms du cinéma. Son réalisateur Walter Murch est considéré comme le plus grand monteur d’Hollywood grâce à des films comme Apocalypse Now ou Conversation secrète. Autre personnalité du cinéma à l’oeuvre sur le film, le bien nommé Gary Kurtz qui vient de mourir. Ce bras droit de George Lucas travailla sur les deux premiers volets de La guerre des étoiles. Grâce aux langues qui se délient avec le temps, on sait à présent que la réussite de L'Empire contre-attaque est la sienne comme en témoignent les nombreuses photos de tournage où il est présent. Quand Lucas abordera Le Retour du Jedi, l'ingrat rejettera les idées de Kurtz qui ne voulait pas d’une nouvelle Étoile Noire (idée trop commerciale pour lui) et qui souhaitait tuer Han Solo. Kurtz s’éloignera alors de Lucas et partira produire Dark Crystal puis Oz, un monde extraordinaire pour Disney.

Cette réalisation est d’une plus grande fidélité aux écrits de L.Frank Baum (l’auteur des 14 romans autour d’Oz) que Le Magicien d'Oz avec Judy Garland. La fabrication du film a été très douloureuse pour son réalisateur qui subit plusieurs baisses de budget conséquentes de la part d’un studio effrayé par la noirceur de son film. En même temps, pour un Disney, le film commence très fort avec une Dorothy que l’on croit folle et qui doit subir des électrochocs dans un hôpital psychiatrique glauque. Quant au monde féérique d’Oz, il n’est pas aussi chatoyant que dans les années 30 et tombe en poussière avec cette horrible sorcière qui en veut à la tête de Dorothy.

Peu ou pas d’épouvantail ou d’homme de fer ici, Dorothy devient l’amie de nouvelles créatures venues d’Oz qui sont toutes merveilleusement réalisées. Il y a tout d’abord Tik Tok, un garde royal mécanique qui tombe toujours en panne, mais surtout Jack le Potiron dont l'aspect visuel et la démarche font beaucoup, mais vraiment beaucoup, penser à l’Étrange Noël de Monsieur Jack. Les effets spéciaux du film, la plupart réalisés en direct sur le plateau, ont extrêmement bien vieilli et permettent au film d’être encore apprécié aujourd’hui. Au moment de la sortie du film, Michael Eisner venait d'arriver à la tête de la Walt Disney Company. Le film est alors rejeté par la nouvelle équipe dirigeante qui le sort en catimini, ce qui explique qu'il soit si méconnu.

Return To Oz est tout simplement l’un des plus beaux voyages dans les terres de l’imaginaire au cinéma !

Le film en VOD : https://play.sfr.fr/oz--un-monde-extraordinaire

Le Trailer en VO : https://www.youtube.com/watch?v=2XK5sky1gXM

Le Trou Noir de Gary Nelson

Le Trou noir est un étonnant film schizophrénique. Conçu par un Disney qui espérait damner le pion à La guerre des étoiles, ce long-métrage essaye de concilier l’univers familial et policé des vieux Disney (La coccinelle…) et le cinéma de Spielberg et Lucas. Côté Disney classique, on retrouve des emprunts à Jules Verne avec un scénario qui est une relecture du mètre-étalon du divertissement familial de la compagnie : Vingt mille lieues sous les mers.  Le grand méchant du film, Dr Hans Reinhardt, est donc une variation du capitaine Némo. Malheureusement, on retrouve aussi les personnages à peine esquissées des productions d’antan. Aucun des héros n’est développé, ils ne sont que des stéréotypes que ce soit le capitaine imperturbable et monolithique, le professeur obsédé par la science ou le bellâtre castagneur... Les effets spéciaux du film qui alternent le sublime et le franchement raté témoignent aussi des difficultés de la firme pour trouver le bon ton. Le vaisseau spatial de Reinhardt en mode art déco, ou la pluie de météorites finale sont d’une grande beauté et n’ont rien à envier à Lucas. Mais nous avons également des choix de design plus discutables (et je manie l'euphémisme) que ce soit les costumes ringards ou le robot Vincent qui est selon moi une poubelle volée dans le local du gardien des studios et hâtivement repeinte en rouge par l'équipe déco entre deux joints.
Ce long-métrage offre néanmoins des séquences réussies comme l’enterrement dans l’espace ou le final à l'intérieur du trou noir. À noter aussi la magnifique partition de John Barry qui nous offre l'une des plus belles bandes originales du début des années 80.

Même si ce film est le plus faible de cette sélection, il reste à découvrir comme un cas unique d'hybridation entre le film familial et une science-fiction plus exigeante et métaphysique.

Le film en VOD : https://films.nolim.fr/detail/type/title-slug/7b98e636-7a84-4146-8604-dc9656ce2500

Un extrait du film : https://www.youtube.com/watch?v=bjgH7VBtSao

Le film en import sur Amazon: https://www.amazon.fr/Black-Hole-pochette-al%C3%A9atoire-italien/dp/B000094P3Q/ref=sr_1_1?s=dvd&ie=UTF8&qid=1538489246&sr=1-1&keywords=Le+trou+noir

Le Dragon Du Lac De Feu de Matthew Robbins

Pour finir, je vais vous parler d’un film d'Heroic fantasy injustement ignoré par l’histoire du cinéma, une œuvre passionnante produite par Disney et Paramount. Je parle bien sûr du Dragon du lac de feu qui nous relate l’histoire du dernier affrontement entre un magicien et le dernier des dragons. Ce long-métrage est tout simplement le meilleur film mettant en scène un dragon, qu’il n’en déplaise aux fans du Smaug de Peter Jackson.

Quand on redécouvre cette oeuvre presque 30 ans après sa sortie, on est émerveillé par les magnifiques extérieurs filmés avec un grand sens du cadre par Matthew Robbins. Il faut souligner également le remarquable travail de Derek Vanlint, son chef opérateur, sur les scènes nocturnes littéralement plongées dans les ténèbres où la seule présence humaine est signifiée par des torches. Le metteur en scène du film a travaillé pour Spielberg en tant que scénariste et réalisateur de seconde équipe, il a donc parfaitement compris la puissance suggestive du cinéma qui est à l’oeuvre dans Les Dents de la mer. Il donne donc littéralement vie à son dragon en nous le faisant entrapercevoir durant une heure de film avant de le dévoiler complètement dans la scène où notre héros pénètre le lac de feu. En dehors des incrustations du combat final, le film offre le plus beau et menaçant dragon du cinéma !

Le Dragon Du Lac De Feu est très différent des autres films d'héroic fantasy à destination de la famille tels que Willow. En effet, le long-métrage refuse tout manichéisme avec ce dragon qui veut continuer à exister et souhaite venger ses progénitures. Nous avons également un portrait pathétique d'un roi qui gouverne seulement pour les possédants et qui prend peur devant le sacrifice de sa fille. Enfin, les auteurs du film s'attaquent à la religion catholique qui manipule les masses. La conclusion du film, où l’on voit ce roi ubuesque planter son épée dans le cadavre du dragon alors que résonnent les psalmodies d’un religieux, est assez formidable. Le dragon, le dernier de son espèce était seulement l’incarnation d’un paganisme qui essayait tant bien que mal de survivre.

Un grand film a besoin d’une grande musique. C’est Alex North, compositeur pour Huston ou Kubrick (Spartacus) qui est à la baguette. Il nous livre ici une œuvre brillante qui illustre parfaitement les temps obscurs mis en scène dans le film.

Un Disney que l’on réservera à des enfants de plus de 9-10 ans en raison de sa noirceur et certaines morts violentes. Un film qu’il était néanmoins  indispensable de réhabiliter et de faire découvrir !

Un extrait du film : https://www.youtube.com/watch?v=TJRaLnLDMWg

Le film sur Amazon : https://www.amazon.fr/Dragon-du-Lac-Feu/dp/B00009QI7V

Un dossier écrit par Mad Will pour Chacun Cherche Son Film.