Mes chers amis je vous propose de suivre mes premiers pas dans la jolie cité strasbourgeoise connue pour ces cigognes,  son marché de Noël,  et surtout pour son festival fantastique qui réunit tous les amateurs de genre.


Vendredi 14 Septembre

Je viens de m'installer dans le superbe cinéma Vox (sa façade est vraiment majestueuse), les lumières s'éteignent et la cérémonie d’ouverture commence sur les premières notes du Thriller de Michael Jackson avec des zombies déambulant dans la salle. Après cet interlude musical, la maîtresse de cérémonie grimée en créature des ténèbres lance les hostilités. On passera sur les discours des politiques, faciles à repérer grâce à leur ventre généralement peu négligeable en raison de nombreuses séances d'entraînement dans les meilleures brasseries de la ville. Daniel Cohen qui dirige le festival évoque ensuite la programmation et les évènements annexes qui auront lieu comme la « Zombie Walk » ou la projection de Blues Brothers  en mode Drive in...  À ce titre, le festival propose pour la première fois une compétition autour du cinéma d’animation.

Et puis arrive la vidéo de présentation de John Landis qui est l’invité d’honneur du festival. C’est à cet instant que je me rends compte que juste derrière moi sont assis Landis et Mick Garris le créateur des Masters of Horror et collaborateur privilégié de Stephen King sur ses séries de téléfilms comme Le Fléau ou Shining. Je  dois avouer que mon petit coeur de cinéphile fantastique a battu très fort soudainement. Après cette cérémonie sympathique, vivante, et surtout moins guindée qu’à Deauville, la projection du film d’ouverture The Nun de Corin Hardy commence.

 

La Nonne de Corin Hardy

La Nonne ( qui est un film dérivé de la saga d’horreur Conjuring ) est une réussite d’un point de vue esthétique grâce à un joli décorum gothique dû en grande partie à son tournage en  Roumanie.  Néanmoins, si vous vouliez avoir peur, passez votre chemin de suite. Le film est en effet plus orienté vers l’aventure que l’horreur pure avec un groupe de héros qui doivent fermer la porte des ténèbres. Le réalisateur nous balance durant tout le film des scènes qui renvoient à des classiques du fantastique comme dans cette séquence sous l’eau qui rappelle Inferno ou ce plan final sur la nuque d’un personnage qui fait penser au Bal des vampires. Ces hommages sont malheureusement artificiels, car ils sont souvent gratuits par rapport au scénario. On a l’impression de jouer à un jeu où l’on doit retrouver la référence. En même temps, le scénario est abscons. Vous pouvez même retirer les trois premières lettres du mot si vous voulez. Écriture de personnages à la truelle, le film use jusqu’à la corde des clichés du genre avec ces personnages qui ne cessent de se séparer pour mieux mourir. Grâce au film, nous apprenons également que l’on peut trouver de belles bougies toutes neuves de chez Ikéa en libre accès dans des catacombes fermées depuis 500 ans. La nonne est un produit de studio fabriqué pour divertir, ce n’est jamais un film avec un vrai réalisateur qui aurait un point de vue sur le genre qu’il aborde.

Après la projection, je me suis rendu à la Aedaen Gallery voir les affiches de films créées pour le cinéma par Michel Landi. À cette occasion,  j’ai goûté à un Bretzel absolument délicieux que j’ai pu accompagner d’un merveilleux petit blanc alsacien. Mais arrêtons là avec mes problèmes d’alcoolisme (normal je travaille dans la culture) et revenons au travail de Michel Landi qui est admirable et nous rend nostalgiques d’une époque où Photoshop n’existait pas. Multitude de supports, savants collages,  utilisation de l’aérographe, ces affichistes d’antan dont Landi était l’un des membres les plus doués ont élaboré des oeuvres artistiques qui peuvent s’admirer en dehors de leur fonction publicitaire à la différence de la plupart des affiches actuelles.

Il est bientôt minuit et il est temps de manger un plat préparé Monoprix à deux euros (budget presse Web quand même !) et dormir !

Samedi 15 septembre

The Man Who Killed Hitler And Then The Bigfoot de Robert D. Krzykowski
Le film débute et je suis plutôt envoûté. Et puis l’ennui gagne très vite. En effet, on a clairement à faire à un long-métrage de scénariste et non de réalisateur. La mise en scène est plate et mêle maladroitement en mode Highlander, grâce à des fondus, le présent et les souvenirs du personnage principal vieillissant . Quand je parle d’Highlander, j’évoque la série, car on est loin de la mise en scène tonitruante de Russell Mulcahy. De plus, le film ne développe jamais son concept d’antihéros qui est intervenu contre les monstres (au sens propre et figuré) de l’histoire américaine.  Avec ces nombreuses scènes inutiles dans le scénario (à quoi sert la rencontre avec le Russe sous la tente ? ), le récit donne souvent l’impression d’être dirigé par un scénariste qui crée des personnages de papier totalement artificiels pour lesquels on n’a aucune empathie.  Un film mécanique qui n’est jamais touchant ! Une déception !

Mais ne nous délivrez pas du mal de Joël Séria

Quand le réalisateur des Galettes de Pont-Aven signe une oeuvre fantastique en pleine terre gauloise pour son premier film, on a une folle envie de le voir. Surtout quand le long-métrage est difficilement visible et que vos vieux amis cinéphiles en parlent une larme à l'oeil comme d'une oeuvre remarquable. Ce film qui met en scène deux jeunes filles qui veulent se vouer au mal est un pamphlet extraordinaire contre une France rétrograde et machiste. Le cinéaste connu pour une certaine grivoiserie nous offre une oeuvre puissamment féministe qui prend un sens particulier 40 ans plus tard en pleine affaire Weinstein. Portée par une mise en scène d’une grande fluidité alternant les plans très structurés et des prises de vue plus naturalistes à la Maurice Piala, cette réalisation est un magnifique portrait d’une justesse psychologique admirable sur les affres de l'adolescence. La conclusion du film est sans appel,  ces jeunes filles ne s'adonnent pas "au mal" mais à la liberté de penser. Le démon, lui, se tapit dans le regard des hommes ou d'une institution religieuse où la frustration mène à tous les vices. Les diables, au final, ce sont aussi ces adultes qui font des enfants sans même les aimer. Mais ne nous délivrez pas du mal est un film du cinéma français qui me semble aussi important que les aventures d’Antoine Doinel de Truffaut. Une réhabilitation de ce chef-d’oeuvre s’impose tout simplement, surtout qu'il est porté par deux interprètes de haute volée  : Catherine Wagener et Jeanne Goupil.

Programme Midi-Minuit Fantastique

Continuons avec le fantastique français avec la projection d’une sélection de courts-métrages créés par certains des membres ou collaborateurs de la revue Midi-Minuit Fantastique.  Fondé en 1962 par Michel Caen, Alain Le Bris, Jean-Claude Romer et Jean Boullet, Midi-Minuit est l’ancêtre des Mad Movies et autre Écran fantastique. Cette revue qui a cessé de paraître en 1971 a été la première en Europe à proposer de longs dossiers documentés et des interviews de personnalités du monde du fantastique comme Terence Fisher à une époque où les mondes imaginaires étaient rejetés par les élites intellectuelles. Certains membres du journal se lanceront dans la réalisation de films. Nicolas Stanzick qui publie une intégrale Midi-Minuit Fantastique chez Rouge Profond, a sélectionné 4 courts-métrages en lien avec les personnalités oeuvrant dans la revue qu’il est venu présenter à Strasbourg. Le programme était donc composé de Dracula de Jean Boullet (1963), La Brûlure de mille soleils de Pierre Kast (1965), Fantasmagorie de Patrice Molinard (1963) et enfin Ténèbres de Claude Loubarie (1971).
Le premier film montré, Dracula, a été remonté à partir de chutes de montage.  Le film compte des intervenants prestigieux tels que Druillet ou Boris Bergman. Le résultat qui reprend le principe des ombres chinoises est d’une beauté étourdissante. Une oeuvre à l'image de son réalisateur, une sorte de dandy magnifique des nuits parisiennes, un libertaire qui se passionnait pour la magie, le fantastique, ou l’occultisme.
Le deuxième court, La Brûlure de mille soleils de Pierre Kast est une oeuvre de science-fiction. Kast fut assistant d’Henry Langlois à la cinémathèque puis collabora avec Jean Grémillon. Son court-métrage composé de plans fixes dessinés n'est pas sans évoquer La Planète Sauvage de René Laloux mais  en moins surréaliste. Même si le film a plutôt vieilli, il conserve le charme d'une SF adulte qui n'existe plus depuis le succès d’un certain Star Wars. À noter que le montage de ce court est l'oeuvre de Chris Marker, le réalisateur de La jetée.
La troisième oeuvre diffusée est Fantasmagorie. Cette réalisation est due à Patrice Molinard qui fut assistant de Franju. Le film met également en scène la même actrice que Les yeux sans visages : Mme Edith Scob. Fantasmagoria est une oeuvre unique portée par un magnifique noir et blanc. Une réalisation fidèle au héros aux dents longues de Bram Stoker qui possède des images d’une modernité impressionnante et dignes du Lost Highway de Lynch. Intrigante et fascinante, cette relecture française du mythe des vampires est à redécouvrir d’urgence.
Le dernier court-métrage,Ténèbres de Claude Loubarie (1971), est mon préféré. Porté par une ambiance malsaine, le film met en scène des souterrains ouvrant sur des mondes que n’auraient pas reniés Clive Barker. On pense également à la trilogie de l'enfer de Fulci dont Ténèbres annonce l'esthétique morbide qui inondera les écrans italiens presque une décade plus tard . Son réalisateur qui était animateur du ciné-club Midi-Minuit II à Lyon était connu pour sa santé mentale fragile. Son film est une oeuvre unique, portée par des visions dantesques . Un cauchemar à vivre en pellicule !

Dimanche 16 septembre 2018

Luz de Tilman Singer

Pour commencer ce dimanche matin alors que le jour se levait à peine sur la capitale alsacienne où les derniers fêtards rentraient tels des morts-vivants vers leur canapé et une cure d’aspirine, j’allais voir en séance de presse Luz. Porté par une bande-son tonitruante en mode electro qui rappelle celle de Good Time , le film est une expérience extrasensorielle tout bonnement fascinante grâce à un scénario malin qui utilise l’hypnose pour simuler l’imagination du spectateur. On a affaire à un long-métrage qui nous surprend régulièrement. Je peux vous dire que pour un vieux briscard comme moi du fantastique, ne pas savoir où le film nous emmène est un festin digne des dieux. Mention spéciale à ses interprètes et à une mise en scène inventive que l'on craint tapageuse au début, mais qui au final correspond parfaitement au propos du film. Pas trop long (moins d'une heure et demie), impressionnant de maîtrise pour un film de fin d’études filmé en 16mm, Luz montre que les Allemands reviennent forts en termes de cinéma depuis quelques années. Une belle découverte.

Malheusement, je ne ne pourrais terminer cette revue. En effet, j'ai dû partir pour des raisons personnelles de Strasbourg, soutenir les miens. Un grand merci à l'équipe du festival et particulièrement Lucy de Dark Star pour leur gentillesse et leur compréhension.

Je vous invite donc à venir nombreux au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg qui est une manifestation riche et passionnante, un régal pour les cinéphiles et un bel évènement populaire avec ses animations comme la zombie-walk.  J’espère repartir l'année prochaine et vous faire un retour plus conséquent en 2019.

Mad Will