Naissance d’un auteur ?

Autant les deux premiers films en tant que réalisateur de John Krasinski n’avaient pas enthousiasmé la critique (La famille Hollar est disponible en VOD) autant Sans un bruit apparaît comme un film très recommandable au regard de son originalité, quand bien même nous pouvons noter quelques incohérences dans le scénario.

En 2020 le monde est à la merci d’aliens qui déciment la population. Originalité : ils sont aveugles et sans odorat, mais ont une ouïe surdéveloppée. Plus dangereux et rapides que les zombies, ces monstres à la croisée de l’Alien et du Predator semblent indestructibles. Les références au cinéma dans le long-métrage sont multiples et discrètes, à l’instar d’une scène en sous-sol qui rappelle furieusement La guerre des mondes de Spielberg.

Le synopsis est simple : Le film suit la survie d’une famille de la campagne américaine dont les parents sont interprétés par le couple, à la ville comme à l’écran, John Krasinski et Emily Blunt.

Sans y voir jusqu’à la métaphore d’une société dans laquelle la parole est de plus en plus critiquée, censurée, il est indéniable que ce film est à contre-courant du cinéma d’horreur contemporain qui abuse des effets sonores stridents et des « jump cut » (deux plans dont les cadrages sont proches qui donnent une sensation de saut sur place).

Une heure trente sans un bruit (ou presque) donc, pendant laquelle le scénario est obligé de prendre de l’épaisseur, ne pouvant s’appuyer sur les effets susnommés. Nous assistons pendant le prologue à la mort d’un des enfants due à son appétence pour un jouet électronique (société de consommation). Le long métrage met en avant la nécessité de réinventer un nouveau langage dont la finalité est l’accouchement non sans douleur, mais sans un cri d’un nouvel être qui sera le premier de cette nouvelle société pour laquelle se sera sacrifié le géniteur.

L’homme moderne privé des bruits de la nature n’est plus capable de vivre dans un silence propice à la réflexion. Une nouvelle société est à construire par-delà la pollution sonore imposée par les machines (au premier rang desquels trônent les moyens de transport) ou par nous-même avec nos écouteurs en permanence rivés aux oreilles qui excluent les autres. C’est dans ce cadre que le moment où l’homme et la femme partagent un morceau de Neil Young est un vrai bonheur. La musique retrouve son prix, celui d’un moment volé, privilégié, et non plus une bouillie en fond sonore.

D’autre part, et sans vouloir divulgacher la fin, il est intéressant de noter que les femmes ont au final le premier rôle. C’est l’association mère fille qui fait avancer le récit. Doté d’une lucidité défaillante, l’homme avait entre ses mains toutes les données pour lutter contre les aliens, mais qu’il n’a pas su s’en servir, au contraire de son épouse et fille. Nous sommes loin donc de l’archétype du héros testostéroné, voir de l’héroïne mutée en warrior, puisque la femme est montrée comme épouse et mère cherchant avant tout à protéger sa famille et inquiète pour elle, tout en utilisant un minimum de pathos, et sans hurlement de terreur à répétition, sujet oblige.

Quant à la forme, il faut saluer un travail intéressant sur la lumière, le film alternant les scènes de nuit et de jour, d’intérieur et d’extérieur, et surtout un cadrage parfait couplé à une réelle souplesse du mouvement de caméra. Que cela soit dans les scènes de poursuite ou dans celles d’attente, le sujet est toujours mis en valeur, visible, lisible, le tout étayé d’un découpage efficace.

Espérons que son prochain film continuera dans cette voie, ne laissant pas Sans un bruit n’être qu’un pas de côté.

L.S.

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