Le film en DVD : Lien

Les guerriers de la nuit est un film unique. Inspiré par la mythologie grecque, c’est un concentré d’actions en mode survival dans un cadre urbain. Que raconte le film :

A New York, où une centaine de gangs se partagent les rues, les combats font rage. La bande la plus puissante, les Gramercy Riffs dirigée par Cyrus, désire unifier les forces et convoque tous les gangs à un rassemblement pacifique. Mais la réunion dérape et finit dans le sang : Cyrus est assassiné. Ce meurtre, attribué par erreur aux Warriors, déclenche sur eux la vengeance de tous les autres. La lutte pour la survie commence, le long du trajet de 40 kilomètres qui les relie à leur quartier général...

Son réalisateur Walter Hill a collaboré avec les plus grands noms d’Hollywood. Faisant la jonction entre le cinéma classique et le nouvel Hollywood, son cinéma a été influencé par les figures tutélaires du western tel John Ford ou bien encore Howard Hawks. Il emploie ainsi des échelles de plans héritées des films de cowboy comme le plan américain ou les gros plans sur les visages. Le film reflète aussi son goût pour les duels avec ce final à Coney Island où la plage remplace le sable du désert. The Warriors est un film extrêmement bien découpé, très rigoureux dans sa spatialisation, où l’on n’est jamais perdu dans les scènes d’affrontement dans les rues. Son utilisation de plans larges, très fréquente dans le western pour capter les grands espaces, crée une réelle tension chez le spectateur qui s’attend à voir la menace surgir à tout moment d’un élément du décor (poutrelle…). Hill est aussi un cinéaste moderne. En digne héritier de Peckinpah dont il fut le scénariste sur Guet-apens , il réemploie le ralenti, morcelant l’action comme dans l’affrontement dans les toilettes, pour lui donner plus d’impact. À la fois classique, mais aussi très stylisée, sa mise en scène emprunte à la pop culture des années 70. Son chef opérateur Andrew Laszlo emploie ainsi des aplats de couleurs dignes des gallos italiens (Bava, Argento et Martino…). On se souvient aussi du rouge incandescent derrière l’animatrice radio dont la caméra fétichiste ne nous laisse voir qu’une paire de lèvres pulpeuse. On note également l’influence d’un Orange Mécanique sur le look de certaines bandes que nos héros vont devoir affronter. À ce titre, les costumes du personnage sont parfois moqués par certains spectateurs en raison de leur caractère outrancier et non réaliste. C’est justement ce travail de stylisation qui permet aux films de passer les décades. Si le film avait été trop contemporain et axé seventies, il aurait vieilli. Avec son design particulier, le film est voué à ne jamais vieillir, car la direction artistique à la lisière du fantastique n’inscrit pas l’œuvre dans une époque précise.

La grande force du film est de s’inspirer du passé et de le moderniser. Le scénario est en effet une relecture de l’Anabase de Xenophon. Ce texte ancien racontait le périple de 10 000 mercenaires grecs au service Cyrus le Jeune. Cyrus perd la vie à bataille de Counaxa. Nos mercenaires vont alors devoir faire plusieurs milliers de kilomètres dans un territoire hostile pour regagner le Bosphore. L’introduction voulue par Hill dans le Director’s cut fait directement référence à cet écrit mythique. Le film qui nous montre les Warriors qui doivent traverser la ville après avoir perdu leur chef est une déclinaison intéressante du texte original.

Beaucoup de nos récits sont nés à l’époque gréco-romaine. En s’inspirant directement d’une histoire qui a traversé les millénaires et qui s’appuie sur des enjeux simples, Hill réalise le film d’action parfait : l’histoire de personnages qui se retrouvent à un point A et doivent pour survivre aller à un point B. L’efficacité du film doit beaucoup à l’unité de temps (sur une nuit) et de lieu (New York) proches des codes du théâtre grec. Nos huit héros font preuve d’un grand courage et suivent un code de l’honneur. Ils sont vus par Hill comme les héritiers des légions spartiates de la légende.

Walter Hill est un cinéaste des années 60 et surtout 70 qui a baigné dans la contre-culture. Même s’il œuvre dans un cinéma de studio plus commercial que celui de Paul Shrader ou de Scorcese, il n’oublie jamais de nous proposer en filigrane un discours social. En premier lieu, il choisit une bande de rues comme héros et rompt avec les figures héroïques traditionnelles du cinéma américain telles John Wayne ou James Stewart. De plus, en filmant le plus souvent de façon anonyme les flics, ne révélant jamais leur visage, il montre les représentants de la loi comme une machine implacable et destructive. Nos héros dans le film s’apparentent aux Indiens dont certains motifs tribaux se retrouvent dans leur garde-robe. Le scalp opéré par le leader des Warriors à la fin de ce long-métrage corrobore cette théorie. Le nouvel Hollywood et plus particulièrement ce film prennent le parti des Indiens (voir Little Big Man et autres) contre les cowboys symbolisés par les forces de l’ordre qui tuent sans avoir besoin de se justifier. Par exemple la mort sous le métro de Fox, membre des Warriors (en vrai Hill ne supportait plus l’acteur et a raccourci sa durée de vie). 

Hill dans une superbe séquence de métro nous propose une scène typique du cinéma indépendant engagé américain. Dans une rame, nos héros rencontrent deux couples de petits bourgeois en chemises à jabot. Un savant jeu d’échanges de regards se met en place où la classe aisée ne cesse de jeter des coups d’œil méprisants aux pieds sales de Mercy, la jeune femme qui accompagne les Warriors. Il n’y a pas de violence physique à ce moment, juste une fracture sociale qui est au final encore plus insoutenable. En pleine période de « vigilant movies », où le gentil flic républicain à la Eastwood tue les loubards, The Warriors adopte le point de vue contraire, celui des bandes et des zonards et nous dévoile une société revenue à l’état sauvage où les pauvres sont obligés de se battre pour survivre. Le début du film nous montre un leader des bas quartiers, Cyrus, sorte de Spartacus qui appelle les bandes à une trêve pour former une armée capable de renverser l’establishment. Mais il se fera assassiner par Luther, leader d’un gang blanc qui accusera The Warriors, l’un des rares gangs pluriethniques du film. Le meurtrier est filmé au téléphone plusieurs fois avec un interlocuteur dont ne connaîtra jamais l’identité. C’est un détail de scénario, mais par ce biais, Walter Hill sous-entend que le meurtre de Cyrus aurait été commandité par la mafia ou les politiques. C’est l’histoire même des USA qui est suggérée ici. Celle d’un pays où les présidents et les leaders noirs se font assassiner, portrait d’une nation fracturée où les lobbys font leurs lois. Le film est enfin une œuvre de résistance quasi prophétique annonçant la politique conservatrice d’un Rudolph Giuliani qui ne fera pas disparaître les problèmes sociaux de la ville, mais les rejettera au-delà de Manhattan. Hill invitait dans son film à la résistance, mais montre aussi combien il est difficile de s’unir contre un même ennemi.

Pour un simple métrage d‘action, The Warriors est une œuvre qui égratigne de façon intelligente notre société. À ce titre, le film connut des problèmes avec la censure française qui y voyait un brûlot révolutionnaire prêt à embraser nos banlieues.  The Warriors multiplie les uppercuts au sens propre comme au figuré contre une société repliée sur elle-même.

Tout simplement, un grand film réalisé par un cinéaste qui fut trop longtemps sous-estimé par l’histoire du cinéma. Je vous invite donc à vous replonger dans cette œuvre unique, dont l’efficacité est toujours la même presque 40 après sa réalisation

Warriors are good. Real good. (Dialogue final)

Mad Will