Le distributeur Carlotta sort en version restaurée un film plutôt inconnu de Joseph Losey : Deux hommes en fuite. Une belle occasion de découvrir un pur film de mise en scène par le réalisateur de l’excellent The Servant (1963) et de la palme d’or 1971 : Le Messager.

La particularité du film de Losey est surtout de nous propulser sans préambule au cœur d’une action et de nous y laisser pendant presque deux heures sans explications. Si cela pourra rebuter quelques spectateurs il faut quand même avouer que le procédé a de l’audace. Nous n’apprendrons donc rien ou si peu de ces deux personnages principaux, plutôt antipathiques par ailleurs, Mac Connachie (Robert Shaw) et Ansell (Malcolm McDowell). Ligotés, traqués dans le désert par un hélicoptère et une armée sans nom, l’action se déroule dans un lieu inconnu et pour des motifs que l’on ignore. Seul importe cette belle échappée pour la liberté, cette course tragique dans des endroits désertiques. Robert Shaw adapte ici un roman de Barry England mais en ne gardant qu’une structure très épurée. Le titre original est d’ailleurs très révélateur du concept du film : Figures in a landscape soit « Des silhouettes dans le paysage », difficile de faire plus vague.

Et pourtant.

Et pourtant le film fonctionne quand même, reposant pleinement sur une mise en scène soignée (les plans aériens sont incroyables) et rythmée qui ne laisse aucune place à l’ennui. On finit par s’habituer aux deux hommes, et quitte à faire toute la route avec eux on cherche à savoir ou cela va nous mener. Et alors que le fait d’être plongé in medias res dans l’histoire nous a obligé à donner du sens à ce que l’on voyait, plus on avance dans le film plus on se rend compte que l’on ne sait rien. Impossible de répondre aux traditionnelles questions et le sentiment d’étrangeté s’intensifie tandis que les héros basculent de plus en plus au fil du film dans une certaine inhumanité, un peu à la manière d’un Au cœur des ténèbres.

Il y a au fond quelque chose d’assez beau à suivre ces deux personnages courir pour recouvrer leur liberté, cette quête de la montagne comme seul lieu de repli pour fuir une menace dont on ne sait rien. Et même si l’absence d’enjeu pourra en désarçonner plus d’un, voir ces deux hommes s’enfuir dans des paysages désertiques pourchassés par une sorte d’armée des ombres à quelque chose de quasi métaphysique.

Une belle expérience de cinéma.