Nous revenons pendant toute la durée du Festival de Cannes qui se tient cette année 2023 du 16 au 27 mai, sur des films qui ont été primés lors de précédentes éditions et que nous avions chroniqués lors de leur sortie en salles.
Aujourd’hui #6/12 : Le jeune Ahmed, de Jean-Pierre et Luc Dardenne, prix de la mise en scène 2019.

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La critique :

La Désintégration, Made in France, Le Ciel attendra, et dernièrement L’Adieu à la nuit… la radicalisation dans l’Islam est un sujet qui ne cesse de passionner les cinéastes, particulièrement quand l’endoctriné n’est encore qu’un jeune adulte. C’est ici Ahmed, 13 ans, que les frères Dardenne mettent en scène dans leur neuvième long-métrage, trois ans après La Fille inconnue. Ahmed est un collégien sérieux, il est poli et porte des lunettes, mais a subi l’influence néfaste de l’imam de son quartier. Parce qu’il la considère comme une pécheresse, le garçon tente d’assassiner Madame Inès, la professeure dévouée qui lui donne des cours de soutien scolaire depuis l’enfance. Le plan échoue et Ahmed est placé dans une maison d’arrêt pour mineurs où il continue en secret à cultiver son obsession. “J’aimerais tellement que tu redeviennes comme avant” sanglote sa mère, sous le regard sombre et immuable de l’enfant qu’elle ne reconnaît plus.

Les frères Dardenne filment, avec l’âpreté qu’on leur connaît, le passage forcé d’un garçon à celui d’un soldat, pour qui les prières ont remplacé les devinettes. A l’inverse d’André Téchiné qui filmait les scènes cultuelles comme une angoisse dans l’esprit de la grand-mère Deneuve de l’Adieu à la nuit, le duo belge envisage la religion, non pas comme une menace, mais comme une partie intégrante de la vie d’Ahmed, qui se voit d’ailleurs encouragé par les éducateurs à faire ses prières en temps et en heure. Seulement l’Islam est un peu trop présent dans le quotidien du garçon de 13 ans dont les réactions deviennent démesurées : il demande à une camarade de son âge de devenir musulmane si elle souhaite continuer à le fréquenter. C’est en se concentrant sur ce genre d’impact dans la vie d’un jeune radicalisé que les Dardenne rendent leur film percutant, sans éprouver le besoin de “psychanalyser” leur protagoniste, ni de détailler les étapes de la préparation au djihad. Il en est de même sur la mise en scène, qui préfère s'attarder sur les petits gestes, les corps mal à l’aise, et les sourires en coin quand ils existent.

Après avoir tourné avec des célébrités du cinéma français (Marion Cotillard, Adèle Haenel…) les deux frères reviennent à leur méthode de casting première en dénichant Idir Ben Addi, un total inconnu au regard noir et aux attitudes un peu gauches, qui incarne élégamment l'ambiguïté d’un enfant que l’on aurait propulsé dans le plus terrible des mondes adultes. Caméra à l’épaule, les Dardenne réussissent à s’emparer d’un des sujets de société les plus brûlants du moment sans en faire un film à sensation, mais une oeuvre sobre, épurée, précieuse.

Suzanne Dureau

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La bande-annonce :