Bertrand Tavernier s'est attaqué à tous les genres. À l'occasion de la rétrospective Bertrand Tavernier : l'intégrale ou presque, Mad Will vous invite à voir ou revoir le méconnu : La Mort en direct. Une oeuvre d'anticipation d'actualité au moment même où la téléréalité est devenue la norme sur nos écrans. Un film tout simplement indispensable.

La critique :

Tout comme Scorsese, Bertrand Tavernier aura été l’un des grands défenseurs de l’œuvre du génial Michael Powell, le réalisateur entre autres de Les chaussons rouges ou bien encore du Narcisse noir. Concernant La mort en direct, on peut considérer le film du réalisateur français comme le prolongement direct d’une œuvre maîtresse du cinéaste anglais qui lui coûtera sa carrière, je parle bien sûr du Voyeur. Dans ce film, Powell nous amenait à suivre Mark Lewis un jeune homme obsédé depuis son enfance par l’image. Le film nous interrogeait sur notre position de spectateur lorsque le tueur était amené à filmer ses meurtres. Tournée au Royaume-Uni, terre de prédilection des exploits cinématographiques de Michael Powell, La mort en direct est une œuvre encore une fois engagée de la part d’un cinéaste qui s’est toujours battu pour ses convictions humanistes.  Si Le Voyeur de Powell utilisait l’objet caméra pour caper le réel par instant, Tavernier va plus loin ici avec des yeux humains devenus des caméras qui filment 24 heures sur 24 la fin de vie d’une romancière à succès jouée par Romy Schneider.

Pour ce film, Tavernier adopte une mise en scène particulièrement soignée qui aura déplu à certains critiques de l’époque qui avaient taxé le film d’hollywoodien en raison entre autres de son casting international. Une erreur de jugement flagrante !  En effet, la photographie froide du film, le caractère géométrique des cadres et l’utilisation importante de mouvements d’appareils sophistiqués s’avèrent au final des outils utilisés par le cinéaste pour nous présenter un monde déshumanisé où la mort est devenu un spectacle.

Si l’idée de l’œil devenu une caméra a été pleinement commentée, le film ne peut se limiter au simple voyeurisme. Pédagogue même dans son cinéma, Tavernier veut nous expliciter les raisons qui ont conduit une société à regarder la mort de quelqu’un en direct. Pour jouer le caméraman doté de caméras en guise d’yeux, il engage alors Harvey Keitel contre l’avis de ses financeurs. À cette époque, l’acteur est en effet « persona non grata », son attitude parfois difficile l’ayant conduit à être viré de plateaux prestigieux comme celui d’Apocalypse Now. Mais Tavernier a vu dans l’acteur, une immaturité et une malice qui lui semblent indispensables pour ne pas faire du cameraman un simple salopard.  Magnifique dans le film, Keitel s’avère au final un miroir de l’homme moderne, s’achetant n’importe quoi pour exister à l’image de ses chaussures en autruche moquées par Harry Dean Stanton. Sans idéal ni morale, il veut juste s’amuser et faire le plus beau plan possible de la romancière en fin de vie. Il lui faudra prendre la route et entrapercevoir ses propres images mettant en scène la déchéance de l’héroïne pour qu’il renonce à filmer. Cette décision l’amènera à perdre la vue, mais aussi à devenir adulte comme le prouve le dernier dialogue. Tavernier nous rappelle ici que tout cinéaste a un devoir moral, car il est responsable de ce qu’il est en train de filmer.

Alors que Star Wars venait de triompher sur les écrans, Tavernier ne recourt à aucun gadget dans le film. Pour autant, le cinéaste réussit l’exploit de nous proposer le film d’anticipation de la fin des années 70 qui annonce avec le plus de clairvoyance les temps que nous vivons actuellement. Harvey Keitel dans le film, c’est le papy-boom qui a vendu ses idéaux libertaires au système capitaliste. La scène où il explique que les manifestants sont à présent payés pour défendre une cause est l’illustration parfaite d’un système voué à disparaître, car régi par l’argent. Dans le moindre détail, ce long-métrage semble toucher juste quant à sa vision du futur. Ainsi, les vieilles bâtisses délabrées du début vingtième filmées par Tavernier sont à l’image de nos immeubles actuels en fin de vie dont les habitants sont les premiers touchés par la crise énergétique et le réchauffement climatique. Quant aux paroles prononcées par Max Von Sydow durant le repas, elles décrivent parfaitement la dégradation progressive de l’accès à la nourriture dont nous souffrons. Enfin, le logiciel utilisé par la romancière pour écrire ses livres augure des I.A. telles que ChatGPT ou Midjourney qui vont finir par éradiquer tout imaginaire en 2023 !


Un film très riche à redécouvrir absolument où Romy Schneider s’avère bouleversante dans le rôle d’une femme courageuse, obsédée par la vie alors que ses jours sont comptés. Tout simplement mon film préféré de Bertrand Tavernier dont vous pouvez retrouver « l'intégrale ou presque » en salles à partir du 15 février grâce à Tamasa distribution.

Mad Will

La bande-annonce de la rétrospective :