Par le biais de la quête d'une jeune femme de ses parents biologiques, « Retour à Séoul », le deuxième long-métrage de Davy Chou retrace la recherche d’une communication possible face à la complexité des êtres et leur irrésolution.

La critique :

« Docile et joyeuse ». C’est ce que signifie le prénom coréen de Frédérique, l’héroïne de Retour à Séoul, deuxième long-métrage de Davy Chou. Docile et joyeuse, Freddie ? Joyeuse, peut-être : à sa manière brutale, franche et impulsive. Pourquoi pas. Mais docile ? Rien n’est moins sûr.

Est-ce vraiment parce que son vol pour le Japon a été annulé qu’elle a décidé, sur un coup de tête, de s’envoler pour Séoul ? C’est ce qu'elle raconte à sa mère qui s’inquiète, mais celle-ci n’est pas dupe. Elle sait que quelque chose d’autre se trame. Cela dit, il n’est pas sûr non plus que la jeune femme soit venue pour retrouver ses parents biologiques. En fait, c’est presque par hasard qu’elle se met à leur recherche, par le biais d’une association dont elle n’apprend l’existence qu’une fois sur place. Oui, difficile à dire ce qui anime vraiment Freddie, la raison de sa présence dans cette ville où elle ne connaît personne, et où personne ne la connaît. Une chose est sûre néanmoins : il serait idiot de réduire sa démarche à une simple « quête des origines », la recherche d’une identité perdue qu’il faudrait à tout prix retrouver par ses supposées racines. Quand elle dit qu’elle est française, on a du mal à la croire. « Tu as un visage typiquement coréen » s’entend-elle seriner. Trop coréenne pour être française, donc… Mais trop étrangère à la culture de son pays natal pour s’y acclimater tout à fait, s’y sentir « chez elle », quoi que cela veuille dire.

Freddie demeure ainsi dans une sorte d’entre-deux, éternelle nomade et électron libre évoluant parmi des gens qui, fascinés, ne peuvent s’empêcher de projeter sur elle tous leurs désirs, comme pour pallier ce qui, chez elle justement, ne cesse de leur échapper. De tomber amoureux d’elle, de vouloir faire d’elle la petite amie, ou bien la fille qu’elle n’a jamais demandé à être. Mais Freddie n’est pas là pour faire plaisir, pour répondre aux attentes de qui que ce soit. Pour essuyer les effusions d’un père qui ne sait pas communiquer autrement qu’en « vomissant son chagrin » sur elle, à la manière des hommes coréens. Pour faire semblant de comprendre des coutumes qui lui sont étrangères, auxquelles elle n’a pas envie de se plier. Quitte à paraître impolie, à se montrer blessante, voire impitoyable. Quitte à dire à ceux qu’elle aime qu’elle pourrait les effacer de sa vie d’un claquement de doigts.

Docile, Freddie ? Même pas en rêve, non. Et finalement, peut-être pas si joyeuse que ça. « Tu es une personne très triste », lui dira-t-on. De fait, la jeune femme ne semble attirer les autres à elle que pour les rejeter ensuite. C’est que chaque rencontre n’aboutit qu’à de l’incompréhension. Toujours déçue, Freddie avance, s’enfuit, se dérobe. Change de peau. Toute jeune adulte à l’air encore adolescent, on la retrouve deux ans plus tard en femme fatale évoluant dans la nuit et la faune underground d’une Séoul métamorphosée. Puis encore, en employée corporate à la vie bien rangée, qui semble réconciliée avec le monde. Mais tout cela n’est qu’apparence.

Par ses ellipses, son refus de tout sentimentalisme ou d’une quelconque forme de résolution, Davy Chou dit bien la vanité de vouloir réduire les autres à des identités figées. Retour à Séoul est un film anti-identitaire par excellence, et c’est en cela qu’il est très beau. Finalement, Freddie n’obéit qu’à une seule chose : sa propre musique. Il n’y a qu’à la voir passer de table en table pour réunir tous les clients d’un restaurant dans la séquence qui suit l’ouverture, telle une cheffe d’orchestre virtuose, provoquant le chaos pour mieux parvenir à une forme nouvelle d’harmonie, improvisée, bordélique et chaleureuse. « T’entends la musique ? », demande-t-elle plus tard à un inconnu rencontré sur Tinder : « Ça vient de l’intérieur. ». « Je l’entends », répondra celui-là, autre nomade à sa manière, qui a fait de l’instabilité du monde un mode de vie. Cette musique, n’importe qui n'est pas capable de l’entendre. Freddie le sait. Raison pour laquelle elle est si bouleversée quand, au cours d’un repas et sans crier gare, son père biologique, abandonnant les modes de communication habituels, la surprend en lui faisant écouter un morceau qu’il a composé en pensant à elle.

Derrière son histoire d’adoption, ce que retrace Retour à Séoul serait bien plutôt la recherche d’une communication possible, face à la complexité des êtres et leur irrésolution. Communication dont les formes et les modes les meilleurs ne sont pas nécessairement ceux qu’on privilégie d’ordinaire. Parce qu’il ne suffit pas d’un simple échange de numéro ou d’adresse mail pour nouer des relations. Parce que vivre, ce n’est pas juste emprunter des voies déjà tracées, mais bien plus apprendre à « repérer les signes, et se jeter dans l’inconnu ». Tout en affirmant et réaffirmant sans cesse qui on est, contre ce que les autres voudraient qu’on soit.

Ce que le film met en lumière, c’est quelque chose qui nous concerne tous. Cette vieille hantise, aussi belle que terrifiante : qu’au bout du compte, on ne puisse compter que sur soi seul pour exister.

Clément Massieu

La bande-annonce :