La poupée, de Wojciech Jerzy Has, narre, dans la Pologne de la fin du XIXème siècle, l’histoire d'un simple commis qui s’est enrichi par son travail et son sens des affaires. Mais jamais, malgré cela, il ne sera intégré dans la haute société. Has nous livre ici un film remarquable, une pépite oubliée à découvrir sans faute.

La critique :

Dans une société où la très grande richesse côtoie l’extrême pauvreté, La poupée de Wojciech Jerzy Has narre l’histoire de Stanislaw Wokulski (admirablement incarné par Mariusz Dmochowski), un simple commis qui s’est enrichi par son travail et son sens des affaires. Loin de renier ses origines modestes, il aide en permanence ses anciens amis et envisage de grands projets pour améliorer le sort des habitants de sa ville natale. À l’apogée de sa fortune, celui-ci tombe amoureux d’Izabella Lecka (Beata Tyskiewicz), la fille d’un aristocrate ruiné. Il cherche donc à entrer dans son monde, mais pour ces aristocrates, malgré ses succès et sa richesse, Wokulski restera toujours un boutiquier. L’ancien commis sent que quoi qu’il fasse, il aura toujours tort aux yeux des gens de ce monde. Chercher leur respect, leur reconnaissance, et surtout leur amour lui sera absolument impossible.

Tourné en 1968 et issu du roman éponyme de Boleslaw Prus, ce film, par le réalisme de sa peinture sociale, pourrait être l’adaptation d’un roman de la comédie humaine de Balzac, dans lequel Lucien de Rubempré et Rastignac auraient pris la nationalité polonaise et se seraient réincarnés en Wolkuski. Le réalisateur nous donne à voir une galerie de personnages évoluant dans un monde figé, à l’image de ces femmes de l’aristocratie positionnées dans le cadre telles des poupées ou des automates. Les protagonistes font preuve de sentiments exacerbés, d’ambition, de mercantilisme, de mépris, … et de désillusions. Le réalisateur pose ici un constat lucide et amer sur une société en pleine déliquescence, qui rêve de grandeur mais qui finalement, pour reprendre une phrase de Wolkuski n’est qu’« une miniature de pays où la faim a raison des uns, la débauche des autres, et où les pauvres travaillent pour enrichir des crétins ». Le temps de l’action situé au 19ème siècle est cependant aisément transposable à l’époque contemporaine du tournage, la Pologne étant à ces deux périodes sous le joug de Moscou.

Source d’inspiration avouée par de grand noms du cinéma comme Martin Scorsese et Francis Ford Coppola, Has nous offre avec La poupée, l’un de ses quatorze long-métrages, un film remarquable. Sublimé par sa photographie colorée et soigneusement éclairée, le film nous donne à voir des décors foisonnants et étonnants de précision dans leurs moindres détails. Flirtant parfois avec le fantastique afin d’étayer son propos, le drame de Has est une pépite oubliée à découvrir sans faute.

Laurent Schérer

La bande-annonce :