S’inspirant de ses années de formation au théâtre des Amandiers de Patrice Chéreau et Catherine Tasca, Valéria Bruni Tedeschi poursuit l’exploration de sa propre histoire grâce aux moyens du cinéma. Entre fiction et autobiographie, son nouveau film ne se veut pas une reconstitution fidèle des « années Chéreau », ni d’ailleurs de son propre passé. S’appuyant sur ses souvenirs, mais aussi sur des témoignages d’anciens élèves de l’école, le scénario s’attèle plutôt à redonner vie à l’esprit qui courait à l’époque dans ces lieux et parmi cette troupe de jeunes gens prêts à puiser très loin au fond d’eux-mêmes pour devenir de bons acteurs.

La critique :

Dans la séquence douverture, quand un professeur demande à la jeune Stella pourquoi elle veut faire ce métier, celle-ci répond quelle a peur de perdre sa vie et sa jeunesse. Les personnages des Amandiers semblent ainsi tellement conscients que leur vie a une fin et que celle-ci peut survenir du jour au lendemain, que monter sur scène paraît dès lors la meilleure manière de la vivre à fond. Il y a comme ça une intensité presque fiévreuse chez ces jeunes comédiens. Une angoisse infuse le récit qui, s’il paraît infiniment lumineux par moments, semble toujours sur le point de sombrer dans la tragédie. Car les « années Chéreau », c’est aussi les années SIDA, dont le spectre hante le film, ce qui d’ailleurs nourrira quelques scènes d’hystérie collective.

La grande beauté des Amandiers est qu’il trouve son rythme et son souffle en embrassant pleinement ceux de ses acteurs. Excellents, ils déploient tous une telle fougue et une telle intensité qu’on a souvent l’impression de personnages tout droits sortis d’un roman russe (ce n’est pas un hasard si Chéreau leur fait jouer Platonov !). On saluera au passage la superbe photographie de Julien Poupard, dont la caméra n’a pas son pareil pour magnifier les visages et les corps en mouvement. Les films de Valéria Bruni Tedeschi ont souvent flirté avec l’excès et le débordement émotionnel, au risque de frôler la caricature. Ici, c’est un peu le cas du personnage d’Étienne, jeune comédien toxicomane et amant de Stella qui brûle la vie par les deux bouts. Néanmoins, on ne peut que saluer la performance de Sofiane Bennacer, tout en fureur sourde et imprévisible, sur le point d’éclater à tout instant.

Si ce trop-plein d’énergie et d’émotions peut fatiguer à la longue, c’est aussi parce qu’il s’articule constamment sur l’ambivalence entre le travail de la scène et la vie réelle. Entre les deux, la frontière est poreuse, l’un contaminant l’autre et vice versa, s’en nourrissant toujours. Car au cœur du nouveau film de Valéria Bruni Tedeschi, il y a le travail : celui avec Chéreau et Romans. Impeccablement campés par Louis Garrel et Micha Lescot — qui parviennent à évoquer sans jamais singer — ils planent sur le film comme des figures tutélaires intimidantes, sans éclipser les jeunes comédiens qui demeurent toujours au premier plan. Les scènes de répétition de la pièce de Tchekhov sont très réussies. « Surtout pas de savoir-faire ! Surtout pas de bons acteurs ! Nous, on cherche ! »

En peignant le portrait d’une génération désireuse de tout donner, mais secouée par les remous d’une décennie au goût de fer, Valéria Bruni Tedeschi nous dit le prix à payer pour parvenir à une forme d’authenticité et de vérité dans le métier d’acteur. Au détour d’un dialogue, un personnage nous aura pourtant averti : être une actrice, c’est aussi brûler sa vie, risquer de mourir folle, triste et seule. Ce sera finalement le seul exutoire pour Stella et ses amis, et peut-être le seul moyen enfin de faire revivre les fantômes et la jeunesse enfuie, ne serait-ce que le temps d’un film.

Clément Massieu

La bande-annonce :