Après Comme des voleurs (à l’est) et Les grandes ondes (à l’ouest), le réalisateur Lionel Baier nous livre avec La dérive des continents (au sud) un troisième volet de sa tétralogie entamée en 2007. L’action de cette comédie dramatique se situe à Catane en Sicile au début de l’année 2020 dans une base militaire de l’OTAN transformée en camp de réfugiés.

La critique :

Nathalie Adler (Isabelle Carré) missionnée par l’Union européenne y organise la visite « surprise » de la chancelière Merkel et du président Macron sous le contrôle de leurs représentants. Elle croise alors son fils Albert (Théodore Pellerin) qu’elle n’avait plus vu depuis 9 ans, un activiste humanitaire militant d’une ONG d’aide aux réfugiés.

Tant sur le plan politique que sur le plan familial, les relations vont s’avérer tendues entre les différents personnages, le couple Nathalie/Albert incarnant le « je t’aime moi non plus » auquel jouent les populations européennes avec leurs représentants et les bureaucrates de Bruxelles.

Le thème de la communication s’invite en permanence dans le récit du film. On pense à nos dirigeants qui n’hésitent pas, en s’appuyant sur leurs communicants, à transformer la réalité pour la faire mieux correspondre à leur point de vue. Le thème est également présent par le biais des liens qui unissent Albert et Nathalie qui a abandonné son fils à l’âge de 12 ans, choisissant son travail et une vie de femme libre plutôt qu’un rôle de mère. Enfin, le réalisateur met en lumière l’absence de réels échanges entre ceux qui se sentent investis dans leur rôle de sauveur et les populations auxquelles ils prodiguent leurs efforts. Chaque séquence devient une variation sur le thème de la communication que le cinéaste traite parfois tragiquement, parfois d’une façon comique à l’instar de ce passage drolatique où un immigré est récusé pour une interview car il parle trop bien le français !

La dérive des continents dénonce l’absurdité d’une politique bureaucratique totalement déshumanisée qui ne supporte pas que tout ne soit pas en permanence sous contrôle. Lionel Baier brancarde en premier lieu ces fameux porte-paroles qui savent mieux que les autres ce dont ils ont besoin, cherchant à imposer leur point de vue auprès des gens qu’ils côtoient, que ce soit dans un but politique ou plus simplement parce qu’ils sont convaincus d’avoir raison. Au final, leur action est contre-productive car soit par calcul, soit par maladresse, ils n’écoutent pas les principaux concernés. La parole des invisibles devient alors un cri, nécessaire pour se faire entendre. Secouée par la crise migratoire, l’Europe le sera une nouvelle fois par la crise du Covid qui commence quand le film se termine. Le réalisateur suisse constate ici (l’œil d’un élément extérieur est parfois plus avisé !) qu’il est nécessaire de remettre de l’humanité au cœur du système européen si l’on veut que perdure notre communauté en espérant que notre continent soit à la hauteur des attentes de ses populations.

Faire confiance aux gens plutôt qu’aux papiers. Si ces derniers disparaissent ce n’est pas la fin du monde, au contraire nous assisterons peut-être au début d’un nouveau état social plus ouvert, moins frileux, moins sclérosé, moins replié sur lui-même. Alors que si les gens meurent...

En même temps satire politique et constat sur les relations humaines, La dérive des continents (au sud) est une comédie efficace qui vaut largement le déplacement dans un cinéma.

Laurent Schérer

La bande-annonce :