Nous revenons pendant toute la durée du festival de Cannes qui se tient cette année 2023 du 16 au 27 mai, sur des films qui ont été primés lors de précédentes éditions et que nous avions chroniqués lors de leur sortie en salles.
Aujourd’hui #9/12 : "Les nuits de Mashhad" de Ali Abbasi, prix d'interprétation féminine 2022 pour Zar Amir Ebrahimi.

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La critique :

En revenant avec Les nuits de Mashhad sur des crimes perpétrés au début des années 2000 dans la ville sainte de Mashhad, le réalisateur iranien Ali Abbasi dresse le portrait d'un tueur en série aux pays des Mollah, qui aura asssassiné seize femmes coupables d’être impures à ses yeux parce que prostituées.

Beaucoup de films iraniens récents présentent, même si elle est voilée ou métaphorique, une sévère critique de la société iranienne. Ali Abbasi avec Les nuits de Mashhad, tourné à Amman en Jordanie, pour cause de censure, pousse le trait encore plus loin. Se saisissant d’une série de crimes survenus au début des années 2000 dans la ville sainte de Mashhad, le réalisateur dresse le portrait de Saeed Hanaei (Mehdi Bajestrani), l’assassin de seize femmes coupables d’être impures à ses yeux parce que prostituées. Il fait d’une journaliste l’enquêtrice, (Zar Amir Ebrahimi, prix d’interprétation à Cannes) et la suit pas à pas dans la recherche de la vérité. Il décrit alors le peu d’efforts, et c’est un euphémisme, prodigué par les forces de police et la justice pour confondre le meurtrier tout en nous faisant suivre en parallèle le jihad du criminel et l’enquête de la journaliste.

L’art d’Ali Abbasi consiste à en montrer suffisamment pour rendre son récit crédible tout en laissant la place au suspens lié à l’enquête. Surtout, il met en lumière les risques pris par son personnage principal féminin dont les investigations l’amènent à radiographier la société iranienne. En effet, la journaliste se heurte aux réticences de la justice, de la police, des autorités religieuses et de la population en général qui lui font à chaque fois comprendre que sa place n’est pas là où elle le pense.

Mais son courage et son obstination lui permettront de progresser quant à la compréhension du mode opératoire du meurtrier. Cependant, ce n’est pas tant cette première partie, pourtant rudement menée, qui est la plus haletante. Sans vouloir dévoiler ici ce qu’il se passe, disons que notre enquêtrice n’est pas au bout de ses surprises et que la critique sociale du réalisateur, finalement assez sobre au départ devient vite un réquisitoire contre le comportement d’une population iranienne culturellement conditionnée par le discours religieux et patriarcal. Ainsi, le plus affreux est à venir…

Mehdi Abbasi ne fait néanmoins pas du criminel un monstre ou un fou. Accepté par une certaine partie de la société comme un religieux qui n’a fait que son devoir de purificateur, le réalisateur lui laisse sa place dans la société humaine, au même titre qu’il voudrait qu’on en laisse une à ses victimes, déshumanisées par leur bourreau puis par une importante partie de la population. À ce titre, la dernière séquence dans laquelle s’exprime le fils du tueur est d’une grande cruauté par rapport au sort des victimes.

Les nuits de Mashhad est tout autant un thriller haletant de bout en bout qu’un regard lucide et réaliste sur une société iranienne enfermée dans ses tabous et une culture largement misogyne.

Laurent Schérer

La bande-annonce :

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