Jean-Pierre Mocky aura eu une place unique dans le cinéma français. Qu’ils en déplaisent à ses détracteurs, ce fut un réalisateur libre et indépendant qui aura fabriqué son cinéma sans dépendre forcément des chaînes de télévision ou des financements étatiques. Faire des films fut sa devise jusqu’à sa mort.

Dans notre époque obnubilée par l’image publique, on a souvent présenté Mocky comme une grande gueule. C’est vrai que le bonhomme avait du caractère. Pour autant, il ne faudrait pas oublier l’essentiel : son oeuvre. À la fois cinéaste populaire, réalisateur de genre et auteur grâce à un style unique et reconnaissable, il aura échappé à toute catégorisation. De toute façon, un film de Mocky ne ressemble finalement à rien sinon à un film de Mocky.

Parlons films ! Justement Les Acacias et Mocky Delicious Products présentent la première partie de La rétrospective Jean-Pierre Mocky, L'Affranchi, avec le concours de l'ADRC. Ainsi, à partir du 4 mai, vous pourrez voir de nombreux films de Jean-Pierre Mocky en salles : À mort l'arbitre ! Agent trouble La Cité de l'indicible peur, Le Témoin, Les Dragueurs, Litan,  Solo, Un Drôle de paroissien ainsi que La Tête contre les murs de Georges Franju écrit et interprété par Mocky.

En tant qu’amateur de Mocky, il me semblait indispensable de revenir sur les films proposés. Je vais donc cette semaine vous chroniquer : Un Drôle de paroissien, La Cité de l'indicible peur, Litan, et Agent Trouble.

Tout simplement des critiques pour vous donner envie de voir les films d’un grand monsieur du cinéma français que j’aimais tellement.

Mad Will

Un Drôle de paroissien de Jean-Pierre Mocky

Plus gros succès de la carrière de Mocky avec plus de deux millions de spectateurs, Un drôle de paroissien est la première collaboration du cinéaste avec Bourvil. À ce titre, il faut savoir que le comédien aurait accepté le rôle en raison de l’enthousiasme du réalisateur alors même que son entourage lui déconseillait de faire ce film qu’on jugeait trop irrévérencieux. Si dans la France de 2022, l’église a perdu de son poids, en 1963 un acteur populaire comme Bourvil prenait un risque avec cette comédie qui se moquait ouvertement des piliers de la société conservatrice de l’époque qu’étaient l’église ou la police. Devenu ami avec Mocky à la suite de ce tournage, Bourvil indiquera par la suite dans différentes interviews que les films qu’il tourna avec le réalisateur d’Un drôle de paroissien étaient ses préférés aux côtés du Cercle rouge et de La Traversée de Paris.

Mocky est un cinéaste qui aimait les acteurs. Bourvil, Serrault ou bien encore Michael Lonsdale furent ainsi des fidèles de ce cinéaste qui soignait chacun des personnages de ses films, qu’ils soient au premier ou au second plan. Dans le cas d’Un drôle de paroissien, Bourvil est magistral, comme souvent chez Mocky. L’acteur qui a souvent incarné des personnages de paysans naïfs, jubile ici à changer de registre en incarnant un aristocrate dont la candeur n’est qu’apparente. En effet, sa manière de créer autour de lui un syndicat du crime chargé de piller les troncs d’églises (boites pour recevoir les offrandes des fidèles), témoigne d’une certaine roublardise qu’on associerait volontiers à un personnage joué par de Funès.

À ses côtés, Jean Poiret est parfait en prothésiste dentaire qui s’adonne au crime avec joie et malice. À ce titre, ses échanges avec Bourvil sont vraiment réjouissants, surtout quand les deux personnages tentent de se donner bonne conscience alors qu’il s’agit de soulager les finances de l’église. On se rappelle ainsi avec délectation de cette leçon de Bourvil sur le capitalisme où il explique à quel point il est un honnête brigand par rapport à un système économique libéral qui s’apparente à du vol organisé. Quant à Francis Blanche qui interprète un flic asthmatique souvent à côté de la plaque, il est tout bonnement déchainé. Mocky utilise en effet à merveille les talents de fantaisiste de Blanche qui ne cesse de revêtir des costumes plus farfelus les uns que les autres pour essayer d'attraper Bourvil. Enfin, que ce soit le sociétaire de la Comédie-Française Jean Yonnel ou les expérimentés Jean Tissier et Marcel Pérès qui sont apparus dans le Napoléon de Gance, ils nous offrent des numéros d’acteurs réjouissants devant la caméra de Mocky qui aimait mettre en scène les différentes générations d’acteurs du cinéma français.

Le film est resté célèbre pour ses dialogues où l’on se moque aussi bien des travailleurs que des nantis oisifs (« Pourquoi travailler Seigneur, puisque vous m’avez créé paresseux ? » déclare Bourvil). Pour autant ce serait dommage de limiter Un drôle de paroissien à sa verve alors que Mocky soigne particulièrement le visuel de son film. Celui-ci met en effet en évidence les monuments religieux de la capitale grâce à un découpage d’une redoutable efficacité.  Secondé par Léonce-Henri Burel qui aura éclairé les chefs-d’œuvre d’Abel Gance ou de Robert Bresson, Mocky prouve une fois encore qu’il est un excellent faiseur d’image quand il a les moyens et le temps pour travailler ses cadres.

À noter dans ce film en noir et blanc, la présence d’une superbe séquence en couleur où Bourvil cauchemarde. Un sommet de loufoquerie aux teintes délicieusement rétro qui rappelle l’esprit d’un Franquin et d’un Raymond Queneau (collaborateur et ami de Mocky) avec ses flics et ses hommes d’église opérant un ballet autour de notre héros.

Pas forcément le film le plus connu de son auteur, Un drôle de paroissien est une œuvre délicieusement amorale que je vous invite à voir ou à revoir absolument.

Mad Will