Alors que nous apprenons la disparition de Michel Bouquet , notre journaliste Mad Will souhaitait lui rendre hommage par le biais de deux longs-métrages novateurs dans lesquels il a joué : Malpertuis et Le Jouet . Retrouvez la critique de ces deux films ci-dessous.

Malpertuis d'Harry Kümel

Je vous propose de commencer cet hommage à Michel Bouquet  avec un film belge adaptant Malpertuis, le chef-d’oeuvre de la littérature fantastique belge signé Jean Ray, le Edgar Allan Poe du « plat pays ». Concernant l’adaptation de Malpertuis, je parlerai ici de la version en flamand de 119 minutes montée par Harry Kümel et disponible chez Malavida dans une édition DVD malheureusement épuisée. Il faut savoir que pendant de longues années, la seule copie exploitée dans l’hexagone et dans le reste de l’Europe fut le montage de 107 minutes (signé Richard Marden) présenté à Cannes dans les années 70. Une version reniée par le réalisateur du cultissime Les Lèvres rouges , l’un des tout meilleurs films européens sur le vampirisme avec Delphine Seyrig .

Ce qui frappe d’emblée quand on voit Malpertuis , c’est la superbe photo de Gerry Fisher, chef opérateur anglais reconnu qui aura mis en lumière de nombreux films de Joseph Losey mais aussi le Terreur Aveugle de Richard Fleischer . Sa photographie travaillée participe à l’ambiance fantastique et étouffante d’un joyau visuel signé par un formaliste haïssant au plus haut point le caractère littéraire de la Nouvelle Vague. Dans Malpertuis, il semble avoir soigné le moindre de ses cadres avec un souci maladif du détail, truffant ses images de fausses perspectives afin de faire de la demeure hantée du film un monde où se perd chacun de ses personnages.

Pour le casting principal, nous retrouvons des comédiens chevronnés tels que Michel Bouquet et Jean-Pierre Cassel sans oublier des acteurs flamands et connus en Belgique tels que Charles Janssen . Enfin, dans le rôle du rosicrucien à l’origine de l’étrange malédiction qui touche la demeure de Malpertuis, nous avons Orson Welles livrant une prestation impeccable, mais qui s’avérera insupportable sur le plateau.

Malpertuis était tout simplement inadaptable. Comment rendre à l’image un roman écrit sur plus de 13 ans et pensé comme un collage surréaliste, mêlant différentes temporalités et multipliant les narrateurs ? Soyons francs, Harry Kümel ne réussit pas totalement son adaptation qui se vit avant tout comme une expérience esthétique. Il le reconnaît lui-même, il a été un peu trop présomptueux avec Malpertuis . Si le film se perd souvent et rate sa conclusion, l’étrange étrangeté et l’écriture baroque de Jean Ray sont rendues à merveille par un visuel splendide où chaque plan ressemble à une peinture. Un film indéfinissable qui montre la richesse du cinéma fantastique européen.

Le Jouet de Francis Veber

Déjà scénariste vedette du cinéma français avec Le Grand Blond avec une chaussure noire , Le Magnifique ou bien L'Emmerdeur , Veber se voit offrir la possibilité au milieu des années 70 de tourner l’un de ses scénarios de jeunesse grâce à Claude Berri . Avec Le Jouet , le primo-réalisateur signe un monument de la comédie française qui, au-delà des rires qu’il provoque, propose une analyse pertinente des rapports de classes. De plus, dès ses débuts derrière la caméra, Veber fait preuve d’un excellent tempo comique et montre des prédispositions pour la direction d’acteurs.

Le Jouet est mon film préféré de Francis Veber car il arrive à concilier ici l'humour et l’engagement social par le biais d’une peinture au vitriol de la fin des trente glorieuses. L’histoire de cet homme prêt à devenir le jouet du fils capricieux d’un milliardaire (joué par Michel Bouquet ) par peur du chômage, est en effet le reflet d'un système de l’offre et de la demande où les puissants agissent comme des despotes, profitant de la lâcheté de la population. Quand on voit Coup de tête ou Le Jouet , on peut regretter que Francis Veber ait privilégié dans sa carrière la comédie franchouillarde et inoffensive pensée pour TF1 alors qu'il possédait une plume bien plus subversive dans ses premiers travaux.

Trop peu cité à mon goût dans la filmographie de son auteur, Le Jouet concilie avec bonheur comédie populaire et message social. Un grand film tout simplement !

Mad Will