En signant Toute une nuit sans savoir, un film à la fois documentaire et fiction, la réalisatrice Payal Kapadia a voulu exposer d’une façon originale et singulière les problèmes de la jeunesse indienne de ces dernières années. Une œuvre éminemment politique qui ne laisse en aucun cas indifférent.

La critique :

Prix de l’œil d’or du meilleur film documentaire à Cannes 2021, Toute une nuit sans savoir de Payal Kapadia peut être considéré à la fois comme un documentaire ou comme une fiction. Les images de la lutte des étudiants de l’institut indien du film et de la télévision (FTII) contre la nomination d’un directeur à  la botte du pouvoir nationaliste d’extrême droite constituent l’aspect documentaire de ce film. Mais par le biais de lettres lues à l’écran imaginées et écrites par les scénaristes, le film met en scène en filigrane une histoire d’amour fictionnelle rendue impossible en raison d’une société organisée en castes. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une « docufiction » mais bien de la mise en scène assumée d’images documentaires. La réalisatrice a voulu ainsi exposer d’une façon originale et singulière les problèmes de la jeunesse indienne de ces dernières années.

Tourné en 2017 mais abondamment enrichi d’images d’archives, familiales ou publiques (réseaux sociaux..), ce film nous donne à voir une jeunesse révoltée contre les préjugés véhiculés par le pouvoir. Les images captées à un instant T ont pour vocation de devenir les archives de demain afin que cette révolte des étudiants indiens, à l’instar d’autres exhumées par la réalisatrice, ne soit pas gommée par des négationnistes et autres affabulateurs au service du pouvoir qui réécrivent en permanence  l’Histoire.

À la fois entrainant par l’énergie que développe une certaine jeunesse indienne et déprimant voir horrifique par la façon dont s’exerce le pouvoir politique, Toute une nuit sans savoir est d’autant plus intéressant qu’il porte un message universel. En effet il met à mal les préjugés racistes qui voudraient que les hommes soient différents en raison du lieu où ils habitent, de leur religion ou bien de leur caste dans le cas de l’Inde. Les préoccupations des futurs réalisatrices ou réalisateurs indiens sont au final exactement les mêmes que celles de leurs homologues français. La culture propre à chacun ne les empêche pas de se poser les mêmes problèmes techniques derrière une caméra. Et d’une façon plus évidente, le sujet de l’amour contrarié revient dans toutes les cultures.

Au fil des images et de la lecture de lettres échangées par les amoureux qui se superposent en voix off, le spectateur ne sait plus de quelle révolte il s’agit. La politique ou la sentimentale ? Peut-être est-ce justement ce que souhaite la réalisatrice : quand on aime son pays, on ne bride pas son peuple comme le font les nationalistes au pouvoir mais au contraire on donne la possibilité à tous ses habitants, sans restriction aucune, de s’exprimer et de s’aimer.

Par le biais de cet objet filmique singulier, la réalisatrice a construit une œuvre éminemment politique qui ne laisse en aucun cas indifférent.

Laurent Schérer

La bande-annonce :