Après un détour par l’Afrique avec Makala, le documentariste Emmanuel Gras revient en France pour poser sa caméra sur un rond-point dans son documentaire Un peuple.  Interpellé par le mouvement atypique des gilets jaunes, qu’il cherche à comprendre, il filme ceux qui se revendiquent comme étant « le peuple » et capte ainsi la parole d’ Agnès, Benoît, Nathalie et Allan.

La critique :

Emmanuel Gras ne prend pas parti, il ne juge pas, il écoute et accompagne. Peu à peu on sent les réticences chez ses interlocuteurs se lever, les personnes finissant par se livrer en racontant leur vécu. Ce qui marque avant tout dans ces images touchantes, ce sont les espoirs que ces femmes et hommes ont portés dans cette lutte dont  la complexité a été trop souvent  réduite à l’expression violente de certains de ses membres. Dans Un pays qui se tient sage , Lucas Belvaux dénonçait la répression policière à l’encontre du mouvement. Ce n’est pas le cœur du propos d’Emmanuel Gras. Ici, il désire nous faire vivre le ressenti qui fédère toute une population qui vit l’injustice sociale par le biais de témoignages. En effet, ces femmes et ces hommes se sont rendus compte qu’ils n’étaient pas seuls et qu’il valait la peine de lutter ensemble.

Pour certains la lutte fait partie de leur vie, militants syndicalistes de la première heure ou engagés dans des associations. Tous ont l’espoir d’une vie meilleure, ce pourquoi ils se sont engagés dans ce nouveau combat. Mais on sent aussi poindre de la lassitude. « J’ai combattu toute ma vie et quel est le résultat ? » se demande Nathalie. Pour d’autres il s’agit de leur première lutte, abordant avec naïveté la chose politique. « Mais pourquoi on nous gaze et on nous mutile, s’étonnent-ils, on n’a rien fait de mal ! » sans se douter que leur seule présence sur les ronds-points ou sur les Champs-Élysées est déjà un grand mal aux yeux d’un état qui ne souffre aucune contestation en dehors des urnes ou des traditionnels défilés entre République et Nation.

Ce film pose la question essentielle et ô combien actuelle de la démocratie. Parce qu’ils ont dû s’organiser, ces femmes et ces hommes se sont posés les questions concrètes de la représentation. La démocratie représentative telle que nous la vivons n’est-elle pas à bout de souffle ? Par leur demande du référendum d’initiative citoyenne, ces gilets jaunes ne demandent-ils pas que l’on réfléchisse à une autre forme d’exercice du pouvoir, plus participative ?

Alors que nos politiques et la plupart des médias se lamentent sur le fait que les gens s’abstiennent de plus en plus aux élections, peu d’entre eux se posent la question de fond mise en lumière par ce mouvement autour de la légitimité de nos représentants. Pourquoi voter pour quelqu’un sur lequel aucun contrôle n’est possible pendant la durée de son mandat ? Surtout qu’une fois élu, il sera soumis à des contraintes qui dépassent le cadre national qui pourront l’empêcher de faire ce qu’il a annoncé.

Au lieu d’avoir recours à des sondages ou de payer des millions d’euros des cabinets de consultants privés, les futurs candidats à la présidentielle feraient bien mieux d’aller au cinéma pour prendre conscience des espoirs et désespoirs de nos concitoyens. En effet, on entend la bouche de la plupart des protagonistes de ce documentaire une revendication qui pourrait être facilement satisfaite : qu’on les entende et qu’on les écoute, vraiment.

Ces gens invisibles et leurs plaintes ont été mis en lumière par leur mouvement. Il ne faudrait pas qu’ils retournent dans l’ombre. Un peuple est donc une façon de conserver la lumière des projecteurs sur eux.

Laurent Schérer

La bande-annonce :